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Interview

Karine Fauconnier : "J’ai hâte d’y être pour voir où ils en sont et où j’en suis moi-même"

Rencontre avec le skipper du trimaran Sergio Tacchini

Monday 7 October 2002Christophe Guigueno

Depuis que son trimaran Sergio Tacchini a été mis à l’eau il y a un an et demi, Karine Fauconier pense à la Route du Rhum Route du Rhum #RouteDuRhum . Sereine, la jeune femme ne semble craindre personne et a hâte de se retrouver seule en mer, en compétition avec ses principaux concurrents entre St Malo et Pointe à Pitre. Rencontre.

Photo: B.Stichelbaut

D’où est née ta motivation pour devenir skipper professionnel? De la Transat Anglaise 1984 remporté par ton père?
- Au contraire, la transat, Yvon a perdu son sponsor juste après. Moi, j’avais douze ans à l’époque et je m’étais dit que je ne ferai jamais ce métier-là, que c’était trop injuste.

C’est venu beaucoup plus tard. Une proposition que l’on m’a faite pour naviguer en solitaire. J’ai dit ’chiche!’ J’avais 23-24 ans. Avant, je ne faisais pas de compétition et encore moins de solitaire. J’ai donc attaqué directement par le solitaire.

Quel soutient t’apporte ton père dans ta carrière professionnelle?
- Le seul conseil de marin qu’il m’ait donné, c’est quand j’ai posé une question sur le bateau: il m’a dit "t’as qu’à regarder". Il a ainsi développé mon sens de l’observation. A l’époque, ce n’était pas un grand bavard. Il est devenu plus pédagogue depuis.

Il fallait aller à la pêche soit même et regarder. C’est pas la plus rapide, mais c’est la meilleure façon d’apprendre. Après il m’a encouragée. Une fois lancée, il était fier de moi et me faisait confiance dans mes choix. Il m’a encouragée une fois ma décision prise de faire de la course.

Est-ce que vous comparez vos carrière réciproques? Et, si oui, comment la course au large a-t-elle évolué en 24 ans?
- Non, on ne compare pas. L’époque n’est pas comparable. Les bateaux ne sont pas comparables ni sa façon de faire. On n’a plein de trucs en commun mais on ne compare pas! Des fois il me raconte des anecdotes.

La grande différence vient des bateaux, de leur technologie et la professionnalisation. On est plus maintenant des marins sportifs. A l’époque c’était plutôt des marins aventuriers même si on garde encore l’aventure Aventure dans notre activité.

Comment définis-tu le ’métier’ de skipper professionnel? Est-ce un pilote, un chef d’écurie? un capitaine?
- Ce sont les trois à la fois. C’est beaucoup plus complexe en fait. Cela regroupe tout le coté en amont de la préparation du bateau: les choix technologiques et techniques pour faire évoluer le bateau et ensuite, le piloter bien sûr! Le solitaire est encore plus complexe car il faut savoir tout faire. Cela va de l’acquisition météo aux manoeuvres, la barre, gérer son sommeil et la communication Communication #Communication . Il faut ainsi que l’on arrive à faire partager ce qu’on vit au cours des vacations avec le P.C. course. En amont de tout cela, il y a des discutions avec les architectes, les ingénieurs…

Pour mettre au point mon trimaran, je n’ai rien changé à la plate forme dessinée par Nigel Irens pour Loïck Peyron et les appendices ont été conçus pas Marc Lombard. Par contre, le travail sur le cockpit à été ma première occupation pourqu’il soit à ma main et pour le féminiser. La priorité était de le rendre pratique pour le solitaire et en plus de pouvoir y mettre dix personnes dedans lors des grands-prix. Le cahier des charges était difficile mais je suis très contente de mon plan de pont. Il est d’ailleurs tout l’inverse de celui Loïck.

Comment vois tu cette profession évoluer?
- Je n’y pense pas trop. J’essaye de rester dans une ligne de conduite proche des valeurs des marins que j’ai connus quand j’étais petite. Cette solidarité-là et cette famille qui existe entre nous, ce sont des valeurs qui doivent rester. Moi même, je me dois de donner cet exemple là, celui de l’entre-aide. Ce n’est pas facile, car on entre dans un milieu qui se référence de plus en plus à la Coupe de l’America ou la Formule 1 et on en perd certaines valeurs assez simples. Mais on a encore de la marge de manoeuvre! Il ne faut pas se laisser embarquer dans quelque chose qui ne ressemblerait pas à la voile.

Quand on est seul sur nos bateaux au milieu de l’atlantique, ces valeurs reviennent et forcement on fait partie d’une même famille.

Combien gagne un skipper professionnel en 2002?
- De 10 à 50 000 F. La machine coûte cher! On ajoute des zéros pour le carbone. La différence maintenant, c’est que l’on arrive à se payer. L’époque n’est pas éloignée où j’ai payé pour naviguer et mis de mon argent pour armer mon Figaro. L’époque où les équipiers venaient pour le plaisir de faire du multicoque a disparu. Maintenant on les paye!

On n’est pas payé comme Schumacher mais on est moins médiatique. Et l’industrie automobile a des voitures à vendre donc ce n’est pas comparable avec la voile. Entre un budget multicoque et un budget F1, on enlève deux zeros. On a beau dire que les budgets multis sont cher. Mais on paye le bateau en fait! les marins font cela par passion. Le budget multicoque pourrait être le budget d’un tennisman.

Tout ça nous évite plein de problèmes comme le dopage...Trop de zéros attire tous les requins, les agents dont on se passe volontiers. La voile, c’est un sport qu’on aime. C’est une passion avant tout et ce n’est pas qu’une question d’argent.

Comment gères tu le rôle médiatique de ton métier?
- Avec parcimonie. J’ai un rôle clair pour moi : on doit parler du trimaran Sergio Tacchini et de son skipper à l’occasion. C’est une association. Si cela sort de ce cadre, ce n’est pas ma mission et ni ce que je veux faire! J’essaye d’éviter les dérapages car je pense que cela ne sert pas a grand chose, ni à moi ni à mon sponsor et que ce n’est pas mon métier. Ce qui m’intéresse c’est naviguer, faire parler de mon bateau et de la voile. C’est un sport qui doit être mieux connu du grand public.

Est-ce ta victoire dans la Transat AG2R qui t’a fait entrer dans le monde des skippers professionnels de course au large?
- Non, j’étais déjà un skipper pro car la Solitaire du Figaro Solitaire du Figaro #LaSolitaire est une course exigeante. On ne la fait pas pendant quatre ans sans passer du coté pro. Et puis, on avait déjà parlé avec Tacchini de faire du multicoque. Mais pas de la même manière car je voulais acheter un vieux bateau pour faire mes armes. La victoire a bousté la construction d’un trimaran neuf et lancé Sergio Tacchini sur une voie plus onéreuse avec un bateau de la meilleure technologie possible. On n’a donc pas fait le détour par le vieux bateau.

Comment s’est déroulée ta première rencontre avec Sergio Tacchini?
- Il est assez impressionnant car il est très grand, il a beaucoup de charisme et de classe. C’est plutôt un bel homme. On sent le sportif qui continue à faire du sport. Donc forcément, c’est quelqu’un qui impose le respect. C’est quelqu’un d’assez curieux, qui pose des questions. C’est un ancien sportif alors c’est un bonheur de travailler avec lui car il a le sens des valeurs du sport. On tient le même discours. On ne se met pas une pression malsaine de Dir Com qui veut des résultats. Il faut que sportivement ce soit intéressant. Et j’ai donc vraiment beaucoup de chance.

Cela a-t-il été difficile de maîtriser la manoeuvre d’un trimaran de course en solitaire?
- Pas tant que cela. Cela me paraissait pourtant assez inaccessible au départ. Par exemple, j’ai pas mal travaillé pour voir en amont comment décomposer une manoeuvre.

Pour cela, je remplis une page A4 en arial 10 points pour préparer un virement! C’est une petite liste de choses à faire. On n’a pas le droit de faire d’erreur. Si on décompose bien les tâches à accomplir et que l’on fait les choses dans l’ordre, tout se passe bien. Il y a un temps de préparation assez long. Mais quand on déclenche, il faut y aller à fond et cela se passe plutôt bien.

Depuis que j’ai fait cela, tout me semble tout à fait accessible. Heureusement! sinon je ne partirai pas sur la Route du Rhum Route du Rhum #RouteDuRhum .

Et surtout il ne faut pas de faire surprendre! L’anticipation est une chose incontournable en solitaire.

Et dans le gros temps?
- Il y a plus de choses à faire dans le gros temps avec quelques gadgets comme les foils, le basculement du mât, les bastaques à reprendre…

Et c’est aussi plus dangereux avec la mer car si on prend un vague de travers, on peut rater la manoeuvre. C’est donc plus difficile car c’est plus physique pour reborder les voiles. Physiquement c’est donc plus dur!

Peux tu décrire le parcours de la Route du Rhum Route du Rhum #RouteDuRhum et ses difficultés?
- C’est Saint Malo en novembre! Cela donne une ambiance: un mois de novembre en Bretagne nord avec son lot de dépressions potentiellement fortes qu’il va falloir traverser.

Ensuite, selon des conditions, il faut descendre vers le sud au niveau des Açores. La route directe passe par les Acores. Il faudra alors savoir où se trouve l’anticyclone. Au début, il faut se sortir des dangers de la côte, puis du danger des dépressions et du danger de l’anticyclone.

Ensuite, il reste à gérer le genaker en l’air et la navigation à fond les ballons dans les alizés! Ce n’est pas non plus de tout repos, même si c’est au soleil! Après, c’est la météo qui fait le parcours! Est-ce que l’on va rallonger la route ou pas? Choisir l’orthodromie ou une route nord? On verra bien!

Comment gères tu le compte à rebours avant le départ du 10 novembre prochain?
- Techniquement, on s’occupe du confort du bateau. On met l’accent sur des petites choses qui vont me faciliter la vie et mon confort sur le bateau. On fait un dernier check général du bateau pour le fiabiliser.

C’est là dessus que cela peut ne pas se jouer car, pour gagner, il faut arriver et pour arriver il ne faut ne pas casser!

Ensuite, il faut avoir un pilote fiable car c’est son meilleur ami. Rester 10 jours à la barre, ce n’est pas possible! Ensuite, il faudra aller vite au bon endroit! Ce sont deux choses distinctes. Aller vite en solitaire... là j’ai un trou d’expérience car je n’ai pas navigué contre les autres en solo. Je ne sais pas jusqu’où ils peuvent être tête brûlées et si être ’tête brûlée’ cela rapporte! J’ai hâte d’y être pour voir où ils en sont et où j’en suis moi-même.

En même temps, je suis sereine. Ce sont des couples homme-bateau qui s’entendent. Moi, je trouve que je m’entend bien avec mon bateau et que je commence à bien m’en servir. Il faut que je trouve mon pourcentage d’autant que je en sais pas où, eux, ils en sont: s’ils sont capables de naviguer à 80 ou 90% des performances du bateau. Je vais pour ma part essayer de faire le maximum, tout en étant raisonnable. Ce sont des bateaux tellement puisants! En solitaire, il faut savoir les gérer.

Celui qui maîtrise ces quatre paramètres peut gagner la Route du Rhum 2002. Le physique reste un petit détail!

Quel est ton entraînement sportif et psychologique pour la course?
- Je fais pas mal de foncier: de la natation et du jogging. Un peu de musculation, pas mal de yoga et des assouplissements pour travailler la souplesse et la résistance musculaire. Il faut être assez souple et ne pas se faire mal sur le bateau car on garde des positions longtemps et il faut arriver à bien se détendre. Je fais aussi pas mal d’abdominaux pour éviter les problème de dos. En mer, on est en action 24/24 pour compenser les mouvements du bateau et cela fatigue aussi!

Mentalement on sera tous dans le même état la veille du départ : on ne va pas faire la fête! Je serai contente quand on sera au large. La veille du départ, ce n’est pas ce que je préfère!

Te considères-tu comme sportive professionnelle à l’instar d’une joueuse de tennis ou de basket ball?
- Non. Je ne me considère pas du tout comme cela. Mais je m’y attelle maintenant car j’en ai besoin et ainsi je me sentirai mieux à bord.

Il y a très peu de sport où il y a pas de classement différencié féminin et masculin. Il y a l’équitation, le rallye automobile et la voile. Donc si la voile ne consistait que dans le fait d’être athlète, il y aurait un classement féminin.

En voile, il y a aussi des postes purement athlétiques où une femme ne peut pas remplacer un homme comme celui de wincheur mais ce qui est intéressant dans ce sport, c’est que cela ne se joue pas uniquement sur le winch.

Le sens marin s’exprime autant chez les hommes que chez les femmes. On ne rame pas pour faire avancer nos bateaux! On n’a pas une route tracée à l’avance alors il y a un côté tactique et stratégique qui efface les différences hommes-femmes.

En grand-prix, on est quand même dix à bord alors qu’en course au large et en solitaire, je remplace dix hommes à bord. Il faut tout faire! Mais on y arrive. Cela reste quand même extraordinaire, que ce soit un homme ou une femme qui le manoeuvre en solaire!

Pratiques tu des activités fun? comme le surf Surf #Surf , le kitesurf Kitesurf #Kitesurf , le funboard ou le ski?
- J’ai un cerf volant. Je fais pas mal de plongée sous-marine Marine Marine nationale , de natation et après je n’ai pas fait trop de sport fun. J’ai essayé le surf Surf #Surf mais j’ai plus ramé que surfé!

Quel est pour toi le grand favori de la Route du Rhum?
- En monocoque? (sourire) Roland Jourdain, Ellen MacArthur ou Sébastien Josse... En multicoque? on verra à Pointe à Pitre!

De qui te sens tu la plus proche: Isabelle Autissier, Florence Arthaud ou Ellen MacArthur?
- Aucune. Plus Forence car je la connais depuis que je suis petite, qu’elle a été une concurrente de mon père et que l’on a été concurente aussi toutes les deux. C’est une amie de mes parents et je la connais mieux. Mais on a, par contre, un tempérament très différent! J’étais à son arrivée pour sa victoire dans la Route du Rhum 1990. C’est un grand souvenir et, avec ma mère, on était très fières d’elle. C’était très émouvant.

Et après le Rhum et le multicoque...
- J’ai actuellement un programme sur quatre ans. On verra!



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