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Transat 650

Corentin Douguet : « des bords de psychopathes ! »

8,14 nœuds de moyenne pour le vainqueur de la première étape La Rochelle - Lanzarote

samedi 24 septembre 2005Redaction SSS [Source RP]

A 9h02 ce samedi 24 septembre, Corentin Douguet a remporté la première étape de la Transat 6.50. Charente Maritime - Bahia à Puerto Calero, aux Canaries. Le skipper d’E.Leclerc-Bouygues Telecom a parcouru les 1300 milles à 8,14 nœuds de moyenne en 6 jours, 15 heures et 44 minutes, un temps record Record #sailingrecord . Corentin Douguet est arrivé avec plus d’une heure d’avance sur le 2e Sébastien Gladu et plus de 3 heures sur le troisième Yves Le Blévec. Alors que beaucoup de favoris ne sont pas arrivés, voici son premier interview. Corentin y raconte le duel avec Sébastien Gladu, les nuits de folie sous spi, sa fatigue, et bien sûr, son envie de confirmer lors de la deuxième étape vers le Brésil. Morceaux choisis.

Corentin, c’est ta plus belle victoire ?

(Il réfléchit... puis éclate de rire) Oui, oui.. quand même ! Forcément, c’est la plus belle ! Elle est tranquille aussi pour le moment car je n’ai encore ni mon téléphone portable ni mon ordinateur... Mais sur l’eau ce matin, c’était bon. Je suis arrivé dans le dévent de l’île, sous grand’voile haute et gennaker, dans de petits airs... Un moment magique, même si on arrive plus tôt que prévu et que du coup il n’y a pas une foule extraordinaire en liesse à l’arrivée. Mais je sors d’une nuit incroyable...

La dernière nuit ?

Un truc de psychopathes ! Vingt-cinq nœuds de vent, de la houle si courte que tu as bien du mal à caser ton petit bateau dans une vague sans que le bout dehors ne s’empale dans celle de devant... Et dans ce champ de mines, je surfais à 18 nœuds dans une nuit si noire que je ne voyais pas l’avant du bateau ! A chaque fois je me demandais si je n’allais pas le désintégrer en heurtant dans la prochaine vague, ou en retombant derrière. Si j’avais été tout seul et largement en tête je serais sans doute passé sous gennaker pour ne pas risquer ça, mais là j’avais Sébastien Gladu aux fesses, alors il fallu tout donner et ça l’a fait, mais ça c’était vraiment chaud. Un vrai bord de Jedï, un truc de fous !

Ta vision de cette première étape ?

Je suis bien sorti du perthuis d’Antioche, après Alex Pella me met la pression mais il va trop à terre vers son pays d’Espagne et il n’y avait pas de vent du côté des bars à tapas. Ensuite il y a cette fameuse nuit au Cap Finisterre, puis beaucoup de tribord amures. Et puis, Sébastien Gladu revient en passant encore plus à l’ouest que moi. Au large du sud Portugal, je croise 500 mètres derrière lui, on se voit, on se parle en VHF, en vrais gentlemen, on se communique même nos positions... Pendant toute la course ce sont les autres concurrents qui m’ont transmis le classement quotidien car j’avais un problème de réception.

Incroyable le duel final avec Sébastien Gladu. As tu paniqué en le voyant à côté de toi ?

Non, j’étais serein, je ne me suis pas affolé. Je me suis dit que c’était suffisamment loin de l’arrivée pour trouver une solution. On a tricoté un peu ensemble au jeu Jeu #jeu des empannages et des oscillations de vent. Un moment j’ai fait un empannage uniquement psychologique, juste pour reprendre la tête au classement du lendemain matin, sur le bord approchant. Ensuite, j’ai pris l’ouest car je me doutais que le vent allait rentrer de nord-est et ça a marché... Mais je le répète, on s’est beaucoup parlés et c’était un vrai duel de gentleman. Il va bien lui aussi !

D’autres moments t’ont particulièrement marqué ?

Le passage du Cap Finisterre restera un très grand souvenir. C’est la deuxième nuit de course avec Yves le Blevec, encore un moment de folie furieuse : le vent est rentré à 25 nœuds, pleine lune un ris petit spi, et tout à fond ! Je savais qu’il fallait creuser à ce moment là, je me disais que si je devais exploser le bateau c’était à ce moment là et qu’en cas de casse, je pouvais toujours rentrer à la Corogne. Je me souviens avoir pensé aussi que si je cassais, c’est que j’étais mal préparé. Alors j’ai tiré sur la machine, à fond, les pentes des vagues étaient tellement raides.. Le bateau décollait entièrement et retombait dans un bruit énorme. Au début, à chaque fois tu lèves la tête pour vérifier que le mât est toujours là...

Les meilleurs souvenirs ?

La victoire ce matin, bien sûr, mais aussi ces deux bords de Jedï totalement hallucinants, pour poursuivre dans la métaphore Star Wars, il faut croire que la force est avec moi... Et un autre moment plus calme : dans le golfe de Gascogne, par mer relativement plate, une baleine sous mon vent, à trente mètres. Nous faisions une route parallèle tous les deux. Elle a soufflé trois fois. C’était beau...

Le plus mauvais ?

Un black-out total de.. je ne sais pas combien de temps. Ce moment où tu es réveillé sans l’être, le vrai trou noir. Je me suis endormi dans le cockpit et je ne savais pas où j’étais. Je pense avoir mis plus de vingt minutes à bien me rendre compte que j’étais en pleine mer sur un bateau. L’horreur totale. Dans ce laps de temps là, tu peux aussi bien décider de descendre pour aller chercher le pain. Et bizarrement je n’ai pas eu cette fois les signes avant coureurs de l’extrême fatigue, les hallucinations auditives, la sensation de chaleur...Une grosse frayeur rétrospective.

Exténué, donc ?

Je tiens encore debout mais je suis crevé, c’est vrai. Je n’ai évidemment pas dormi une seconde cette nuit et seulement par tranches de 20 minutes depuis une semaine. C’est peu. A chaque fois je me disais que je pourrais récupérer plus tard et ce moment n’arrivait jamais. Le problème c’est que le mode vent de mon pilote est tombé en panne dès le deuxième jour et que c’est extrêmement handicapant dans ces conditions de vent portant. Tu es obligé d’être en permanence sur le pont, de barrer bien plus que quand ça fonctionne.

Le bateau ?

A part ce souci de pilote et une alerte sur le vît de mulet qu’il faut que je vérifie, rien de grave. Je n’ai pas déchiré de voiles non plus, globalement tout va bien.

Tu as pris de l’avance sur les autres favoris. De bon augure pour la deuxième étape ?

Ce qui est pris n’est plus à prendre. C’est vrai que c’est bon pour le moral. Maintenant, compte tenu du chemin qui reste à faire, même un écart de 6 ou 12 heures n’est rédhibitoire pour personne car il peut y avoir des écarts énormes sur l’arrivée au Brésil, comme en 2003. Je ne vais pas me mettre à faire des calculs maintenant... De toutes façons, tu ne peux pas faire de marquage sur cette course, donc le problème reste entier. Maintenant, il faut songer à bien récupérer pour tenter de poursuivre la série en cours, si possible...


Voir en ligne : Propos recueillis par Bruno Ménard - DEFIMER / www.corentin-ocean.org



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