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Corentin Douguet

Transat 6.50

Corentin Douguet : « Des conditions extraordinaires sur toute la Transat »

"je ne suis pas meilleur marin qu’Yves Le Blevec ou Alex Pella qui sont très forts eux aussi"

jeudi 27 octobre 2005Redaction SSS [Source RP]

Vainqueur la nuit dernière au Brésil et nouveau recordman de la Transat 6.50 Charente Maritime Bahia en 24 jours et 21 heures (record Record #sailingrecord battu de 4 jours et 16 heures), Corentin Douguet - après une nuit très courte - enchaîne avec son team les interviews entre Bahia et la France. Télévisions, radios et presse écrite donnent un retentissement exceptionnel à sa victoire. Entre deux obligations médiatiques, il revient pour nous avec humilité sur sa course, ses grands adversaires, ses sensations... Il raconte ses grands moments de doute, ses grands plaisirs, ses rêves de tours du monde, l’avenir proche...

Corentin Douguet
Il remporte la Transat 650 quatre ans après sa 17e place

Corentin, 12 heures après la victoire, tu réalises ?

Oui... L’arrivée dans la baie cette nuit était sublime avec les fumigènes, les bateaux accompagnateurs, du monde sur les pontons, les proches qu’on retrouve après 18 jours de solitude. C’était comme à la télé.. Et puis, c’est la Transat 6.50, l’épreuve reine du circuit, la course mythique. Je suis évidemment comblé d’inscrire mon nom au palmarès et aussi de faire plaisir, je l’espère, à tous ceux qui m’ont soutenu : amis, partenaires...

Qu’est ce qui t’a fait gagner la Transat ?

Je pense que beaucoup de choses se sont jouées dans la qualité de ma préparation. J’ai un bateau 100% fiable, rien n’a bougé. Là, tu lui mets un coup de jet d’eau et il repart aussitôt dans l’autre sens s’il le faut. Il est améliorable en terme de performance bien sûr - ils le sont toujours et j’ai eu le temps de penser à quelques trucs - mais je suis à peu près persuadé que c’est là-dessus aussi que beaucoup de choses se sont jouées, car je ne suis pas meilleur marin qu’Yves Le Blevec ou Alex Pella qui sont très forts eux aussi.

Emotionnellement, qu’est ce qui a été le plus fort ?

Ce n’est pas une surprise, mais le meilleur souvenir c’est l’arrivée à la tombée de la nuit. C’est déjà exceptionnel en soi de passer de la solitude la plus totale à une ville de 3 millions d’habitants qui grouille de vie. Alors arriver en plus en remportant la Transat 650, l’objectif que tu t’es fixé depuis deux ans, ce sont vraiment des moments magiques, inoubliables.

La journée type ?

J’attaquais chaque journée par un café-gaufres au miel, une bonne session de barre ensuite. A 11h TU c’est la météo et le classement. Ensuite, un peu de navigation, le premier plat lyophisé. L’après-midi : chaleur insupportable dehors comme dedans. Tu t’arroses pour faire baisser la température du corps, mais tu dois garder ton ciré, parce que sur un 6.50 au reaching l’eau s’écrase sur toi en permanence. Donc t’es en ciré par 35 degrés ! Il y a quelques heures où c’est un cauchemar, la sensation de te vider de toute ton eau. Et tu t’organises barre/navigation/lyophale... Il n’y a qu’à la tombée de la nuit que tu peux reprendre une activité presque normale, alternance d’heures à la barre, de courtes séquences de sommeil de navigation.. et encore de lyophales. Mais je me souviens aussi de fous rires hallucinants, littéralement plié en deux en écoutant les sketches de Pierre Desprosges, tout seul au milieu de rien.

Tu pulvérises le record Record #sailingrecord de ton copain Armel Tripon. Météo favorable ?

Nous avons eu des conditions extraordinaires sur toute la Transat, notamment avant-hier et hier : j’ai passé par exemple trois heures sous petit spi à 14 nœuds et je « ralentissais » à 11 nœuds dans les molles... C’est difficile à décrire : trois heures de planning constant, je surfais en permanence, comme si j’étais en harnais en planche à voile, sous une belle lune. Je me suis mis du Hendrix à fond et j’ai savouré... C’était énorme. C’est parfois surréaliste de voir ce qu’on arrive à faire de ces petits engins de 6,50 mètres, au ras de l’eau. Et puis, pour moi le Pot au noir a duré... deux heures. Incroyable, c’était une porte qui s’est ouverte devant le bateau, j’ai bien fait d’aller un peu plus à l’ouest que prévu. C’était incroyable de réussir à faire des journées à 150 milles minimum dans cette zone là. Après... avec Alex un jour on a avalé 235 milles en 24 heures 24 heures Record de distance parcourue sur 24 heures  ! Incroyable.

Alex Pella, justement, il t’a fait peur ?

Pas seulement lui : Yves Le Blevec, Andrea Caracci et quelques autres aussi, d’autant que je n’ai jamais eu 150 milles d’avance... Globalement, j’ai plus mal vécu cette deuxième étape que la première qui était un rêve de compétiteur, sous spi et en tête tout le temps. Là, j’ai douté. Par moments je me trouvais mauvais, parfois je n’étais pas franchement mon meilleur copain, notamment au passage du Cap Vert. Je suis passé vraiment par tous les états psychologiques. Et je n’ai été certain de gagner qu’hier matin, quand j’ai vu Alex 5 milles devant moi. En gros, il devait me mettre dix heures sur les douze qui restaient à naviguer et sauf sous-marin torpilleur je ne pouvais plus perdre. Je l’ai eu à la VHF, on s’est félicités mutuellement avant de se dire qu’on devait tout de même aller passer la ligne pour prendre un verre ensemble à terre. Ce qu’on a fait.

L’avenir ?

Ce serait un bon moment pour prendre ma retraite et écrire mes mémoires ! Plus sérieusement, j’y ai beaucoup réfléchi sur l’eau. Il y a beaucoup d’envies... dont une qui revient constamment de faire le tour de la planète en équipage, sur la Volvo Ocean race ou pour un Trophée Jules Verne. Si je trouvais un embarquement sur la Volvo, je crois que je serai capable de partir demain ! En attendant, c’est à voir avec mes partenaires mais disons que j’aimerais bien aller prendre une bonne leçon d’humilité, comme tout le monde, sur La Solitaire, en Figaro. Maintenant, rien n’est encore décidé. Pour l’instant, je vais savourer un peu...

Propos recueillis par Bruno Ménard - Défimer


Voir en ligne : http://www.corentin-ocean.org


Les premières réactions : Coville, Tripon, Chabagny...

Corentin Douguet a remporté la Transat 6.50 Charente-Maritme Bahia, la nuit dernière au Brésil. Il a coupé la ligne à 0h22 ce jeudi 27 octobre et est arrivé 2e de la deuxième étape, à 38 minutes et 38 secondes de l’Espagnol Alex Pella sur qui il avait 9h38 d’avance à l’issue de sa première étape victorieuse entre la Rochelle et Lanzarote. Corentin Douguet pulvérise ainsi le record de la transat de 4 jours et 16 heures. Il succède à son copain Armel Tripon et abaisse le temps de référence à 24 jours et 21 heures. Après l’interview du vainqueur, voici les premières réactions de deux de ses grands amis, Figaristes de renom, Armel Tripon et Thierry Chabagny ; celle aussi du parrain de la course, Thomas Coville (qui l’invite à courir à bord de Sodebo !) ainsi que l’interview de l’architecte de son bateau, Samuel Manuard.

- Thomas Coville, skipper du Trimaran Sodebo et parrain de la course, (2e en 1997) : « Ils ont eu des conditions météo extraordinaires. Il y a eu de superbes bagarres en tête, où Corentin, Yves Le Blevec et Alex pella ont dominé, mais aussi dans le ventre du peloton, où les filles notamment ont navigué très propre. Corentin, premier et deuxième de chaque étape, ça parle en soi. Manifestement il a une maturité un peu supérieure aux autres. J’espère qu’il assume bien l’effervescence de la victoire. Il faut qu’il savoure, qu’il jouisse de toute la volupté de ces instants magiques qui resteront sans doute comme les plus beaux souvenirs de sa vie de marin. Et puis il a tiré la queue du castor dans le manège, il vient de gagner un ticket : comme l’avait fait Yves Parlier pour moi, je l’invite à courir à bord du trimaran Sodebo, pour une épreuve que nous déciderons ensemble. S’il en a envie bien sûr... »

- Armel Tripon, vainqueur en 2003 et ex-recordman : « Corentin explose mon temps de presque 5 jours ! Ce record là sera très difficile à battre, chapeau... Je suis très fier de lui et je me sens particulièrement heureux que ce soit un ami qui reprenne le flambeau. On va pouvoir faire la fête et en parler longtemps avec les copains, à Nantes. Je connais Co’ depuis une petite dizaine d’années, mais là il a totalement maîtrisé son sujet, il garde le Trophée dans la famille, c’est génial ! Il n’a pas répété ses erreurs de la première édition en 2001 et ça c’est fort, c’est la marque des grands marins. L’histoire récente prouve que tu es mieux armé pour gagner la Transat quand tu as déjà participé une fois pour essuyer les plâtres. »

- Thierry Chabagny, ami et complice de double en Figaro : « C’est extraordinaire. Je me sens vraiment heureux pour Corentin : il n’a pas fait d’erreurs de navigation, une super belle trajectoire quand on sait le peu d’informations dont tu disposes en mini. C’est très différent du Figaro. Là, tu ne sais pas où sont tes adversaires, tu ne peux pas faire de marquage, les infos météo sont sommaires et pas très fiables. C’est paradoxal d’ailleurs de naviguer à l’ancienne sur une petite bombe de technologie. C’est d’autant plus fort de dominer dans ces conditions. Mais Corentin m’impressionne tout autant par ses deux ans de préparation à terre, la façon ultra efficace dont il a managé son projet gagnant. Il a choisi le meilleur bateau, l’a optimisé comme personne, assumé son statut de favori et gagné. C’est fort. Très fort. Maintenant, j’espère qu’il ne va pas trop prendre la grosse tête, j’ai peur qu’il ne veuille plus jamais me parler après une victoire comme ça !"



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