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ORMA

Les trimarans de 60 pieds sont-ils réhabilités ?

Les points de vue de Champion, Desjoyeaux, Lemonchois, Cammas ou Ravussin

lundi 13 novembre 2006Christophe Guigueno

« Il y a des détracteurs du multicoque ici ? » s’interroge Lionel Lemonchois lors de la conférence de presse qui a suivi son arrivée victorieuse à Pointe-À-Pitre. « Cette transat remet les pendules à l’heure » s’exclame de son côté Michel Desjoyeaux. Quant à Jean-Pierre Champion, le président de la Fédération Française de Voile, il est catégorique : les trimarans « restent les rois de l’Atlantique ». La 8e Route du Rhum Route du Rhum #RouteDuRhum est donc l’édition de la réhabilitation pour ces engins à trois coques…

La première édition de la Route du Rhum Route du Rhum #RouteDuRhum , en 1978, avait célébré la main mise sur la course au large par les engins à deux ou trois coques sur les « lents » monocoques chargés de lest. Mike Birch et son trimaran jaune s‘étaient imposés au finish sur le long cigare de Michel Malinovski. Mais vingt-quatre ans plus tard, la cabane est sous le chien ! Le premier bateau à rejoindre la Guadeloupe est le monocoque d’Ellen MacArthur, parti, il est vrai, un jour avant le trimaran de Michel Desjoyeaux. 2002 est l’édition du carnage. Trois trimarans seulement arrivent à Pointe-À-Pitre alors qu’ils étaient 18 au départ. Loïck Peyron a perdu son bateau. Cammas, Bourgnon, Coville ont chaviré. Le Cam a heurté le trimaran retourné de Cammas. Ravussin fait la culbute alors qu’il a course gagnée… Deux ans plus tard, la Transat Jacques Vabre Transat Jacques Vabre #TJV2015 en double connaît aussi son lot de chavirages avec Cammas (encore), Ravussin (encore), Le Cléac’h (que l’on y reprendra pas). Pire, les 60 pieds sont humiliés par le trimaran de 50 pieds de Franck-Yves Escoffier qui leur vole les honneurs de la ligne (sur un parcours plus court). Maintenant, en novembre 2006 et après le record Record #sailingrecord fantastique de Lionel Lemonchois qui vient de traverser l’Atlantique à près de 20 nœuds de moyenne, voilà que tout le monde se lève et crie victoire.

Alors que la course n’est pas encore terminée, skippers et observateurs ont rendu hommage et honneur à cette classe de bateaux mise aux bancs des accusés en 2002 et en 2004. Le président de la FFV lui-même est intervenu par voix de presse pour expliquer la revanche des multicoques ORMA. « Revanche, je ne sais pas, mais elle m’autorise en tous les cas à avoir un regard critique, voir un peu narquois, sur tous ceux qui prétendaient, il y a quatre ans, et même parfois juste avant cette édition, que ces bateaux n’étaient pas adaptés à l’Atlantique. Ils restent des bateaux difficiles à manier, avec les risques d’un sport mécanique et il faut de grands professionnels pour les mener. Je le répète : courir au large ne sera jamais sans risques, mais je note que ces bateaux ont été fiabilisés après une édition 2002 qui, il faut le rappeler, avait rencontré des tempêtes exceptionnelles. Elle aurait pu mettre en péril n’importe quel bateau même de commerce. Les skippers, leurs architectes, l’ensemble de la Classe ORMA, ont prouvé qu’ils avaient bien travaillé pour sécuriser leurs bateaux. Cette édition rappelle qu’ils sont de merveilleux engins, capables de vitesse Vitesse #speedsailing incroyable et de nous offrir une course passionnante. En résumé, ils restent les rois de l’Atlantique, performants mais parfaitement écologiques et d’une élégance rare ».

Champion : « ils restent les rois de l’Atlantique »

Sans revenir sur le côté « écologique » d’une épave en fibre de carbone qui flotte entre deux eaux, il est clair que la classe ORMA qui gère la jauge de ces bateaux a fait de gros efforts en collaboration avec les navigateurs et les architectes. Les designers ont pris en compte les efforts sous-estimés dans une mer déchaînée. Un système de déblocage des voiles pour diminuer, les risques de chavirages ont été rendus obligatoires. Foils et safrans relevables sont encore plus efficaces. D’ailleurs, il n’y a eu cette année qu’un seul chavirage, celui du Suisse Stève Ravussin, victime d’un « jamais deux sans trois » (2002, 2004, 2006). Le barreur du plan Lombard Orange Project analyse d’ailleurs ainsi ces évolutions : « Les centrales électroniques reliées aux pilotes automatiques de type de ceux développés par les Classes America se sont révélées sûres et m’auraient peut-être permis d’éviter ce chavirage. Les safrans relevables sont aussi devenus inconditionnels car l’océan charrie trop de dangers flottants… des foils plus profonds assurent aussi de garder le bateau à plat plus longtemps… »

Ravussin devrait donc être le seul à ne pas rejoindre la Guadeloupe sur les 12 engagés dans la catégorie ORMA cette année. Du Coup, Michel Desjoyeaux, le vainqueur de la précédente édition qui quitte le circuit pour revenir au monocoque avec le Vendée Globe pour objectif confirme son point de vue sur ces machines de course : « Cette Transat remet les pendules à l’heure. Ce sont les bateaux les plus merveilleux au monde. Des voiliers magiques, extraordinaires et si on le reconnaît un peu plus cela me fait chaud au cœur car cela fait 4 ans que je le dis. Mais cela reste un sport mécanique et il faut en accepter les règles. Cela peut donner cette édition 2006 de la Route du Rhum Route du Rhum #RouteDuRhum ou celle de 2002… J’espère que cela va définitivement réhabiliter cette classe et remettre le clocher au centre du village ! Même si le départ de marins comme Alain (Gautier) ou moi ne simplifie pas la suite, mais je suis confiant. Ces bateaux ont montré qu’ils étaient bien les rois de l’Atlantique. »

Desjoyeaux : « remettre le clocher au centre du village »

« Ce sont les bateaux les plus extraordinaires qu’on ait inventé. Et la quasi-totalité de la flotte va arriver dans des temps exceptionnels. Que demander de plus ? » s’interroge de son côté son successeur, Lionel Lemonchois. Effectivement, les neuf premiers trimarans sont arrivés avec un chrono inférieur au record Record #sailingrecord de Laurent Bourgnon qui datait de 1998. Mais ces chiffres exceptionnels ne serait-ils pas plutôt à mettre au crédit d’une météo exceptionnelle ? Le trimaran de 50 pieds de Franck-Yves Escoffier a lui aussi fait mieux que Primagaz en 1998. Le monocoque de 60 pieds de Roland Jourdain, successeur d’Ellen MacArthur au palmarès, a mis juste un peu plus de 3 heures de plus pour traverser l’Atlantique. Enfin, l’ancien trimaran de Bourgnon, cette fois-ci mené par Claude Thélier, est arrivé après 11 jours et 12 heures de mer, soit 21 heures de moins que l’ancien record…

Ancien skipper de trimaran, Jean Le Cam est passé au monocoque pour le dernier Vendée Globe et relativise un peu les faits : « On connaît les potentiels de ces bateaux. Encore faut-il savoir les exploiter. Les conditions ont été exceptionnelles, mais il fallait un marin comme Lionel pour en tirer la quintessence. » Stève Ravussin qui n’était pas dans le groupe de tête et s’était arrêté aux Açores a vécu une autre course : « J’ai chaviré dans du vent fort et sur une mer courte avec des vagues traîtresses… des conditions que n’ont pas rencontrées les trimarans de tête… » Des conditions que n’ont pas rencontrées aussi les concurrents des classes plus petites. D’ailleurs trois autres trimarans ont chaviré dont celui de Charlie Capelle qui n’est autre que le sister-ship du trimaran jaune de Mike Birch. Et les bateaux plus lents ont connu des conditions bien extrêmes avec des creux de plus de 8 mètres. On peut d’ailleurs s’interroger sur ce qui se serait passé si le départ avait été donné une semaine plus tôt comme pour les monocoques de la Velux 5 Oceans Velux 5 Oceans #Velux5Oceans

Au moment du départ de Saint Malo, Loïck Peyron disait sur France 3 que le vainqueur serait un de ceux qui avaient « quatre ans de plus », soit l’expérience de la précédente Route du Rhum. Le vainqueur a aussi été celui qui aura pris le plus de risques au bon moment, celui qui n’a levé le pied pour assurer, celui qui n’a pas été traumatisé par la précédente édition, celui qui… n’a pas chaviré.

Desjoyeaux : « je n’ai pas envie de naviguer comme cela »

Michel Desjoyeaux lui-même avoue avoir levé le pied : « Lionel a été fort quand même ! Il y a quatre jours [avant l’arrivée], j’ai fait un essai. Je progressais vent de travers à 28 – 30 nœuds et je me suis demandé s’il y avait moyen d’aller plus vite. J’ai repris 3 cm d’écoute et je suis passé à 32 nœuds. Lionel était toujours à quatre tours de plus. Aux allures où nous avons navigué, ce n’était pas trop risqué. Moi, je n’ai pas fait un seul planté. Lionel n’est pas allé trop loin puisqu’il gagne. Respect ! Mais moi, je n’ai pas envie de naviguer comme cela. Je ne veux vraiment pas casser. Le bateau en est à sa cinquième transat et je n’ai pas cassé. » Lemonchois a d’ailleurs fait un planté sur la première partie de la course.

Et Cammas ? Qui lui menait le seul bateau lancé depuis 2002… « Cette Route du Rhum est pour moi une histoire Histoire #histoire de prise de risques acceptée. À bord de Groupama 2, j’ai mis mes limites par rapport à mes sensations mais aussi à mon expérience passée à la barre de ce bateau. Ce qui est certain c’est que nous manquons de navigations dans ces configurations-là avec nos bateaux. Ayant chaviré l’an dernier dans la Transat Jacques Vabre Transat Jacques Vabre #TJV2015 , je manquais certainement de confiance dans mon bateau. Groupama 2 est le dernier-né des multicoques ORMA. C’est un bateau extrêmement pointu, plus fin à régler pour atteindre une vitesse Vitesse #speedsailing optimale. Je n’ai pour l’instant pas trouvé le bon dosage pour mener Groupama 2 comme il mérite. Nous sommes face à un beau défi technique. Il nous faut trouver des solutions pour rendre ce beau bateau plus tolérant et plus serein. »

Ravussin : « Un multicoque risquera toujours de chavirer »

Le mot de la fin revient peut-être à Stève Ravussin qui ne veut pas lâcher cette discipline malgré trois chavirages : « Un multicoque risquera toujours de chavirer. Il faut réfléchir sérieusement à la monotypie, afin que les expériences et les connaissances de chacun profitent à l’ensemble de la classe. » Pourtant, il aimerait bien racheter le trimaran de 22 mètres d’Ellen MacArthur pour battre son record autour du monde en solitaire avant la mise à l’eau des futurs géants de 30 mètres de Thomas Coville et Francis Joyon. Quant à Desjoyeaux, il revient au monocoque. Gautier gère une écurie de deux trimarans de 60 pieds pour du day charter. Cammas et Bidégorry préparent leurs programmes de trimarans géants (32 mètres pour l’un, 40 mètres pour l’autre). Si les trimarans de 18 mètres ont été réhabilités avec ce superbe record de Lemonchois, ont-ils pour autant regagné la confiance des skippers, des sponsors, du public ?


Source des citations :
- JP Champion : Effets Mer / FFV
- M Desjoyeaux : Effets MEr / Géant
- S Ravussin : Mer & Media / Orange
- F Cammas : Welcome Onboard / Groupama
- L Lemonchois : Rivacom / Route du Rhum


Les temps de la Route du Rhum

Année Skipper Bateau Temps de course Moyenne orthodromique
1978 Mike Birch Olympus Photo 23j 06h 59’ 35 6,35 nœuds
1982 Marc Pajot Elf Aquitaine 18j 01h 38’ 00 8,14 nœuds
1986 Philippe Poupon Fleury Michon 14j 15h 57’ 15 10,02 nœuds
1990 Florence Arthaud Pierre 1er 14j 10h 08’ 28 10,20 nœuds
1994 Laurent Bourgnon Primagaz 14j 06h 28’ 29 10,30 nœuds
1998 Laurent Bourgnon Primagaz 12j 08h 41’ 06 11,91 nœuds
2002 Michel Desjoyeaux Géant 13j 07h 53’ 00 11,10 nœuds
2006 Lionel Lemonchois Gitana XI 7j 17h 19’ 06 19,11 nœuds

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