Leur Transat 650

"Ma Mini-Transat 2003" par Patrick Bot

"’est EnÔrme ! Ca y est ! On l’a fait ! On est arrivé de l’autre côté, en un seul morceau !"

mercredi 18 juillet 2007SeaSailSurfnaute

Toujours enseignant-chercheur à l’École Navale, Patrick Bot nous raconte sa "Mini 2003" sur son Pogo 1. Après cette expérience au large, Patrick a continuer de naviguer en mini sur son bateau encore 2-3 ans avant de le revendre. Depuis, il navigue toujours, surtout en régate, en J80… "mais je ne vais pas tarder à me remettre au large, en commençant par les Açores en Pogo 8.50 cet été. Le mini me manque, mais maintenant c’est difficile d’en faire sans s’y investir à fond !"


PREMIÈRE ÉTAPE

13 septembre : En arrivant sur le Cap Finisterre, on prend un bon coup de vent, comme fréquemment dans ce coin là, heureusement au portant. C’’est là que c’est bon le mini ! Wahou ! Envoyez les surfs, dix noeuds ! douze noeuds ! quatorze noeuds ! seiz... halte là, il serait temps de se calmer, c’est pas le moment de mettre la cabane sur le chien et de tout gâcher maintenant. Tant qu’on est à la barre, ça va. Mais il ne faut pas faire une erreur, et si ça continue à monter, il arrive bien un moment où il faut réduire, donc brancher le pilote automatique, et là... gare à la sortie de route ! Longtemps sous grand spi et un ris dans la grand-voile, je décide finalement de passer au petit spi. L’affalage se passe bien, ouf ! A peine un petit départ au lof. En revanche, je rate deux fois de suite l’envoi du petit spi - 45m_ tout de même - pour cause d’ouverture intempestive d’un mousqueton - c’est décidé, je les supprime - et spi qui s’enroule à l’envoi. Bon, c’est un signe, il faut se calmer et il me semble que le vent est encore monté. On repart sous GV haute et génois tangonné. Ca marche encore fort, de bons surfs à douze noeuds en roulant bord sur bord, sous pilote sans forcer, et je peux enfin me reposer et manger un peu, bien que le bruit des surfs soit très impressionnant à l’intérieur. Ce sera la bonne stratégie, j’ai plutôt gagné des places et de nombreux collègues ont eu de la casse dans ce coup de vent.

Après le Cap Finisterre, je me suis refait une petite santé au classement, ce n’est pas encore terrible, mais moins catastrophique. La suite de la course se déroule normalement, avec son lot de bonne glisse dans les Alizés portugais, son lot de pétole, son lot de dauphins, de rencontres, comme Peter 36 qui me court après toute une journée pour venir me taxer des clopes ! Un peu chaud la manoeuvre avec les deux bateaux sous spi dont un sous pilote, son grand bout-dehors agressif... Ravitaillement réussi avec pas trop de pertes : un paquet et le couvercle de mon bol thermos qui a servi de contenant lors du deuxième envoi, assuré par un bout. Au passage, je note que Peter va moins vite depuis qu’il fume... Plus tard, une belle frayeur tout de même avec un cargo en pleine nuit : je l’avais repéré et m’étais recouché une fois assuré qu’il était bien passé, à distance respectable. En me relevant dix minutes plus tard, je le vois par mon travers qui me fonce dessus, tellement près que je ne vois pas ses feux de route ! Dans la panique, pas bien réveillé, je crois même que j’ai tenté de virer de bord, sous spi... J’ai enfin aperçu son feu rouge, et j’ai poussé la barre pour mettre mon feu rouge en face : rouge sur rouge, rien ne bouge, c’est bon d’avoir des automatismes ! Ouf, j’ai eu chaud, il est fou celui-là, ou alors mal intentionné ? Fancis 404, non loin devant à ce moment là, me dira plus tard qu’il lui a aussi trouvé un comportement bizarre : le même cargo lui a tourné autour après avoir éteint son radar -nous sommes équipés de détecteurs de radar qui sonnent pour nous prévenir quand un cargo est dans les parages, à condition que son radar soit allumé, ce qui est malheureusement rarement le cas au large. Brrr... ça fait froid dans le dos, on ne peut pas faire grand-chose tout seul sur nos coques de noix face à ces monstres d’acier.

15 septembre : La course se poursuit avec un vent plutôt instable en moyenne qui oblige à beaucoup manoeuvrer et encore beaucoup trop de pétole à mon goût (mais comment peut-on aimer la pétole ?!) A part ça, une belle mésaventure à signaler. Je me réveille avec la désagréable impression que le bateau n’avance pas beaucoup, le vent est sans doute retombé. Lorsque j’arrive sur le pont, une mauvaise surprise m’attend : le spi a profité de mon sommeil pour faire un magnifique cocotier, mais alors un beau, comme je n’en ai encore jamais vu, au moins une vingtaine de tours bien serrés autour de l’étai et la drisse de génois. Je me maudis de ne pas avoir fait un foc belge (une sorte de filet entre l’étai et le mât) pour empêcher cela, mais ça n’avance à rien. Bon, réfléchissons, la théorie dit qu’il suffit d’empanner en se mettant sous la même allure sur l’autre bord, puis les causes opposées produisant les effets inverses, ça se déroule tout seul ; Vincent Riou m’a assuré que ça marchait toujours, il suffit d’être patient. C’est le moment ou jamais de tester la méthode. Donc j’empanne, j’attends, j’attends et j’attends encore... pas l’ombre d’un quart de tour qui semble faire mine de vouloir tenter de se dérouler ! Cause toujours, ça marche pas ton truc ! (voir à la deuxième étape toutes mes excuses à Vincent). J’essaie vainement de dérouler la chose d’en bas, mais comme le haut est enroulé par dessus et bien serré, peine perdu. Bon, ben il n’y a plus qu’une solution, il faut y aller. Je m’apprête donc à monter au mât pour essayer de régler le problème, après avoir prévenu David 295 par VHF : « si je n’ai pas donné de nouvelles dans plus de 3h, ben... tu avises... ». Il faut savoir que grimper au mât en solitaire est l’une des pires galères que l’on rencontre, et c’est un peu dangereux (shut, ne pas le dire à ma maman !). Il y a plusieurs techniques. La mienne est de grimper à la force des bras en m’assurant avec un bloqueur d’escalade sur une drisse qui interdit la descente. C’est assez physique, et le problème c’est qu’il faut bien descendre quand même ! Pour cela, il faut décoincer le bloqueur (pas facile) et réguler la descente avec un bout qui coulisse sur la drisse avec un noeud de prussic. J’enfile mon baudrier, je prends quelques bouffées de courage qui traînent par là, un bout de quelques mètres pour tâcher d’étouffer la toile qui bat, un couteau au cas où il n’y aie pas d’autre solution..., affale la grand-voile pour m’assurer sur sa drisse et c’est parti. Une fois à mi-hauteur du mât, il faut encore se balancer jusqu’à l’étai et travailler accroché à celui-ci par les jambes, en se faisant secouer copieusement. Après beaucoup d’efforts, j’ai fini par y arriver grâce à un saucissonnage rigoureux du spi au fur et à mesure du déroulage à l’aide du bout. De retour sur le pont, je suis mort et plein de contusions partout, mais bien content d’en être venu à bout en ayant pu garder le spi en un seul morceau. Il n’y a plus qu’à souffler un bon coup, faire le ménage et renvoyer tout ça. Deux heures et demi au total.

19 septembre : La fin de l’étape se passe à couteaux tirés avec Yann 318. C’est que c’est un teigneux, le Yann ! Calé derrière moi, il ne m’a pas lâché d’une semelle pendant 24h. La pression est montée crescendo, jusqu’à une bataille acharnée dans la nuit de l’arrivée. On est arrivé en vue des Canaries en fin d’après-midi -en fait j’ai senti la terre avant de la voir, quelle douce sensation après dix jours de mer, ça sent l’écurie. Mais il reste une vingtaine de milles à longer la côte avant d’arriver à Puerto Calero, en pleine nuit. Menace de grosse pétole la nuit près des îles. J’affine ma stratégie après moult croquis et scénarios sur les effets de côte et le refroidissement nocturne : près de la côte au début pour bénéficier de l’accélération, et un large détour ensuite pour éviter le dévent et la molle, tout ça en contrôlant Yann, bien sûr, ce serait trop bête de se faire coiffer sur le fil ! Tout cela se passe avec des manoeuvres incessantes car le vent change beaucoup avec la proximité de la côte : génois, gennaker, spi, tout y passe. Moi qui souhaitais savourer l’arrivée en profitant des îles sous le soleil... En plus, je dois contrôler la nav’, puisque je suis devant, et le bateau en profite pour partir en vrac dès que je suis à l’intérieur, évidemment !

Yann attaque au vent, je serre pour le contrôler, on est vraiment près de la côte... Un premier point vite fait nous place en plein dans les terres... un deuxième dans l’agrandissement du port de Recife nous place vraiment très près : on est en train d’entrer dans ce port de commerce, mais ce n’est pas le bon port, il nous reste une dizaine de milles. J’abats un peu. Yann, trop content de me passer au vent, continue, profitant du fait que je ne peux pas serrer le vent autant que lui : il est sous gennak et moi sous spi à ce moment. Je le sens qui jubile, le mors entre les dents, et je le vois foncer dans le port, droit sur une espèce de digue en béton. Je l’appelle ? l’appelle pas ? il va croire à un coup de bluff... « Yann, fais gaffe, t’as vu devant ? - Oulà ! J’ai vu, merci ! ». Il abat en catastrophe, perdant beaucoup de terrain et je le distance rapidement. Il arrête de jouer : j’ai gagné par K.O., ouf, ça a été dur (il me mettra une belle pâtée dans la deuxième étape et terminera premier pogo 1, bravo Yann !) Je peux enfin savourer la fin de course plus tranquillement, encore un peu au ras de la côte. Très difficile d’estimer la distance en pleine nuit, avec les lumières de la ville et les phares de voiture. On entend très distinctement la musique des innombrables discothèques, et même les gens qui chantent. Ca fait un peu bizarre d’être là, tout seul sur son bateau à côté d’autant de vie et de civilisation ; on arrive de Mars, progressivement de retour sur terre... Après un grand détour comme prévu pour éviter le dévent, c’est sans un souffle que je finis par couper la ligne, pratiquement sur mon erre depuis le large ; il fallait bien revenir vers la terre pour arriver, mais le plus tard possible. Et là, c’est le retour sur terre un peu plus brutal : au bar avec les copains... le bar en question n’a pas réussi à fermer de la nuit.

DEUXIEME ETAPE

27 septembre : Départ pour The traversée ! Ca y est, c’est à nouveau le grand jour, celui-là c’est le bon ! C’est le grand saut : un océan à avaler, et un Pot au Noir, et la solitude, et l’inconnu... D’ailleurs, ça se sent sur les pontons, la tension monte progressivement, les copains ne rigolent plus, parlent à peine, et tout le monde traîne les pieds pour partir. Curieusement, je me sens bien, et j’ai envie d’y aller, j’en ai assez de cette escale. Enfin bon, la gorge est quand même un peu serrée lors des derniers adieux. Départ sous spi, dans le vif du sujet tout de suite. J’empanne pour aller chercher plus de vent à la côte. Pas terrible, un bord non rapprochant qui ne m’apporte rien, car du vent, il y en aura bien assez. Bon, il faut que j’arrête de faire des bords tout seul loin de la route (à graver dans ma mémoire). Le vent monte. Je passe sous petit spi assez vite et constate encore une fois que ça va pratiquement à la même vitesse. De plus, il commence à y avoir des avaries chez les concurrents et je préfère assurer. D’ailleurs, dans la nuit, la sale grosse nouvelle tant redoutée : Francis a démâté ! Aïe ! Coup dur pour mon pote. Il se déroute vers Las Palmas, j’espère qu’il pourra repartir. Le vent monte encore un peu, la mer se creuse et je commence à fatiguer. Quand on pique du nez à la barre, ça fait plutôt bizarre de se faire réveiller par un coup de pied aux fesses et le bateau qui chante quand il part au surf ! Il est temps d’affaler et de repartir sous génois tangonné. La pression retombant, je prends un coup au moral en repensant à Francis, et quelques autres démâtages qui sont annoncés aussi. Finalement, l’action reprend le dessus avec renvoi de spi, empannages, prises de ris etc...

Le 5 octobre, je me réveille avec le méga cocotier dans le spi, le même qu’à la première étape, ou son jumeau. Ayayaïe ! Mais pourquoi n’ai pas fait un foc belge ?! Comme il fait encore nuit et que je ne me vois pas du tout refaire les mêmes acrobaties dans le noir, j’empanne et je vais me recoucher, avec un gros poids sur l’estomac à l’idée des réjouissances qui m’attendent à l’aube qui approche. Voilà-t-il pas que je suis réveillé peu après par des claquements secs ; ah non ! pas encore une autre galère ! Et là, en débouchant sur le pont, Le Miracle ! Ca s’est déroulé tout seul, et le spi me regarde en me faisant « Bon alors, on y va ou quoi ? ». Je bénis le ciel, fait mes excuses à Vincent, et c’est reparti tout content. Respect Monsieur Riou ! Je rajouterais juste un détail à la théorie : pour dérouler un cocotier, empanner puis se recoucher !

Pot au Noir Les premiers grains nous tombent dessus dans la nuit du 6 au 7. Beaucoup de manoeuvres, des rafales, de la pluie et de la pétole ; impossible de dormir plus de dix minutes. Ca y est, nous y voilà, et ça va durer un moment. On reste des heures scotché sans vent sous un nuage, ou sous du ciel clair, c’est au choix. On se fait rincer copieusement. On essaie de faire tout sécher dans les éclaircies. On tricote dans les bascules incessantes. Pas facile d’essayer de passer les grains du bon côté, quand ils barrent la moitié de l’horizon et qu’on avance à 0.5 noeud... En plus, ils ont des trajectoires plutôt erratiques, et on subit plus qu’autre chose. Quand on « arrive » à en prendre un comme il faut, on peut faire un bond à 10 noeuds dans le bon sens pendant quelques heures, avant de se replanter dans un trou juste après. Une bonne douche à l’eau douce sous un grain, c’est un vrai bonheur, et ça permet de braver les éléments avec son savon sous la tourmente. Mais une fois bien propre, je ne trouve pas le robinet pour couper l’eau, et ensuite frigorifié, je fais moins le malin. On assiste à des paysages fascinants : des énormes cumulonimbus au développement vertical impressionnant, des gros grains tout noir très vilains, parfois orageux.

Heureusement, j’ai toujours réussi à éviter les gros éclairs. Il est très difficile de barrer sous la pluie battante quand le vent est faible, car on ne voit rien, et impossible de lever les yeux vers les voiles ou la girouette. En plus, les nuits sont longues par ici. La stratégie est claire : gagner dans le sud pour s’extirper de cette m.! Ce qui m’étonne, c’est un fort courant qui porte à l’est, ce n’était pas prévu dans mes Pilot Charts. Je n’arrête pas de gagner des places et je me retrouve 4e série, 2e pogo 1, juste derrière Lionel 269 ! Super ! La gnac à donf ! Bon, c’est à prendre avec des pincettes parce que ça varie rapidement avec les grains qui redistribuent les cartes sans arrêt, mais ça fait bien plaisir. On se retrouve plusieurs fois au contact (même visuel, c’est dingue ! au beau milieu de nulle part) avec Lionel 269. Le 9 octobre, une lueur d’espoir apportées par quelques signes annonciateurs de la délivrance : petite houle de sud et un ciel différent. D’après la météo, le FIT aurait eu la bonne idée de monter pendant qu’on descendait. Il s’agit maintenant de s’éloigner au plus vite, mais le vent est encore très mou. Classement inchangé, mais ça resserre pas mal derrière et il y en a qui font le yoyo. Le 10 octobre, on n’est pas sortis de l’auberge ! Alors que j’étais en train de passer Lionel 269 sous le vent, Eole est parti se coucher et on est restés arrêtés des heures. Ensuite, rebelote, nième couche de grains, pluie battante et pétole. On progresse un peu puis on s’arrête. L’axe du FIT a effectivement monté au nord de notre position (sympa), mais il s’est élargit en nous avalant à nouveau (moins sympa). On se retrouve sous ce qu’ils appellent un gros amas orageux convectif. Vous m’en direz tant ! Moi j’appelle ça une grosse pagaille ! J’ai plusieurs contacts VHF avec des collègues. Tout le monde a envie de causer un peu, il y en a marre de la pluie, on ne veut plus sortir de la cabine, stop !

Une nuit, j’ai couché le bateau, en douceur, sans bobo. Je me lève pour choquer un peu d’écoute de grand voile car le bateau est trop ardent et le pilote a du mal à le tenir. Mal réveillé, je laisse filer l’écoute au lieu d’en choquer juste un peu. Comme le pilote avait la barre dans le coin, évidemment, le bateau abat en grand, empanne, et vient se coucher gentiment, voiles à contre à l’issue d’un magnifique tête-à-queue, avec tout le matossage à l’envers, dont le gennaker et les bidons d’essence sur le pont qui barbotent dans l’eau. Surtout, ne pas choquer la bastaque pour libérer la grand voile avant d’avoir repris l’autre bastaque, il n’y a pas mieux pour démâter. On reste calme. D’abord, se réveiller, enfiler le ciré, le harnais, puis sortir sur le pont, vertical, pour tout remettre en ordre. Ca va, rien de cassé, rien de perdu, tout va bien et c’est reparti.

Les jours qui suivent sont un peu monotones et la météo annonce invariablement sud-est 4 à 5. Je commence à craindre de ne pas pouvoir passer l’archipel de Fernando de Noronha (qui est marque de parcours) sur un seul bord, ce qui serait catastrophique au classement. Même revenu au près serré, je suis encore à 15° sous la route ; il serait temps que ça adonne, et sérieusement ! Au classement, je me fais grignoter petit à petit, c’est très énervant. J’ai beau m’appliquer sur la vitesse du bateau, rien à faire, je perds inexorablement du terrain. Alors, je gamberge. Voyons, a priori, j’étais plutôt à l’ouest de la flotte, et ça a payé dans le Pot au Noir. En revanche, dans les phases de vent de sud faible, quand les deux bords donnaient à peu près le même gain vers le sud, j’ai privilégié le bâbord amure, légèrement plus rapprochant. Les autres ont dû faire l’autre bord vers l’est, et maintenant ils sont au vent et me marchent dessus. Bon sang, mais c’est bien sûr ! J’ai sûrement mal joué ; pour une fois que j’ai voulu faire le bord rapprochant ! J’enrage ! En plus avec le courant qui portait à l’est, j’ai lutté contre au lieu de partir avec. Bon, et bien tant pis, c’est le jeu. Après tout, l’ouest c’était une option, ça a bien payé en son temps, et puis d’abord, si l’Alizé de sud-est était vraiment au sud-est comme il se doit et non au sud sud-est comme actuellement, je ne serais pas obligé de serrer le vent autant et il y aurait moins de différence de vitesse. Quoi qu’il en soit, il faut faire avec et rester dans le match ; ce n’est pas fini, c’est à la fin de la foire qu’on compte les cochons, n’est-ce pas ? Tiens, pour se remonter le moral, il y a le passage de l’équateur bientôt. Je n’ai pas tellement le loisir de me bizuter, étant donné l’inconfort de l’allure au près dans la brise, et je ne peux pas me prendre en photo stupidement déguisé car c’est la nuit noire, mais c’est quand même l’occasion de faire la fête pour mon premier passage. Les yeux rivés sur le GPS : 0.2, 0.1, - , 0.1, 0.2 (S) , Houppi ! Ca y est ! Fais péter le champ’, le sauc’ et les cajous ! En fait de champ’, ma pauvre demi bouteille de mousseux est un peu limitée : une fois les parts versées à Neptune, au bateau et au pilote, il n’y a plus grand-chose pour moi... Enfin, ça y est, j’ai franchi La Ligne, le 13 octobre à 21h10 TU, par 31°22 W, et nous voilà la tête en bas, mais ça va, on tient.

Le 15 octobre, j’ai doublé Fernando sans contre-bord, car le vent a enfin fini par adonner. Mais j’ai eu un peu chaud. N’ayant pas de carte de détail, j’ai été bien inspiré de jeter un oeil aux Instructions Nautiques. Elles signalent des cailloux non balisés à quelques milles au sud-ouest des îles, soit juste là où je veux passer. Heureusement que j’y prends garde, car j’aperçois des brisants et je passe de justesse à 50m au vent. Ouf ! Mince, avec tout ça, j’ai raté la météo. Bon, ce n’est pas grave, de toute façon c’est toujours pareil, sud-est 4 à 5. En route vers la côte brésilienne, en jonglant entre gennaker et génois, voire quelques ris dans la grand voile suivant le vent.

Pour la fin du programme, nous avons environ 400 milles à longer la côte, normalement en route directe et sous le soleil : des vacances quoi. Je prévois de me maintenir à au moins 20 milles de la côte afin d’éviter les perturbations thermiques de l’Alizé et les barques de pêcheurs généralement pas éclairées la nuit. En fait de vacances, ça devient rapidement le bazar, avec des grains, un vent qui fait n’importe quoi mais surtout dans le nez, de la pluie à ne plus savoir qu’en faire et de la pétole. Il faut même ressortir une polaire bien rangée depuis longtemps. Super, le Brésil ! Si c’est pour se retrouver en Bretagne, ce n’était pas la peine de faire toute cette route ! La météo signale une petite perturbation peu active... tu parles, 36h de pluie continue, je t’en donnerais du peu active ! A nouveau très difficile de barrer dans ces conditions. Contrairement au début, je dors plutôt en début de nuit quand c’est possible, car la lune se lève en deuxième partie de nuit maintenant. Comme j’ai l’impression que plus on s’approche de la côte, plus c’est instable, je m’écarte un peu. En fait, ce n’est pas vraiment mieux, sauf que j’ai de la place sous le vent pour mieux négocier les grains et accélérer quand je les prends du bon côté. Leur comportement est plus prévisible que dans le Pot au Noir, car ici, il y a tout de même un vent synoptique qui impose un peu d’ordre.

Le dernier jour de course sera idyllique. Dix noeuds de vent, grand soleil, en vue de la côte, je suis au taquet et je me régale à régater comme un petit fou, d’autant que je suis (presque) au contact avec Stéphane 135 sur son proto. Je rentre dans les dernières baies au louvoyage pour profiter des effets de pointe et des contre-courants, en virant juste avant le shore break des surfeurs, sans prendre trop de risques quand même - si j’avais su à ce moment-là que Michel 421 s’était échoué sur ces mêmes cailloux la veille, j’aurais sûrement moins joué... Ca fait drôle de voir la terre, et surtout la civilisation avec les buildings et tous les gens sur les plages. On croise énormément de pêcheurs sur leurs jangadas, qui sont très amicaux, et ça réchauffe le coeur ces premiers contacts humains. On doit faire un peu extra-terrestres, même s’ils ne réalisent pas bien d’où on vient. En rentrant dans Bahia de Todos O Santos, je tiens absolument à envoyer le spi pour les quelques derniers milles, même si je n’ai plus que le petit. Toujours au taquet, en pleine manoeuvre entre génois, gennaker et spi asymétrique, tandis qu’un cargo m’assaisonne de ses coups de trompe et qu’il faut s’annoncer à la VHF « Salut Murielle ! Ca fait du bien de t’entendre ! ». Ensuite, tout va très vite. Une vedette qui m’accompagne pour passer la ligne d’arrivée, photos, sourires. Attention ! Top ! BroÔoum ! Bada boum ! Feu d’artifice ! C’est pour moi tout ça ? Ils ont mis le paquet ! C’est EnÔrme ! Ca y est ! On l’a fait ! On est arrivé de l’autre côté, en un seul morceau ! Déjà dans un état second, j’affale le spi, des brésiliens sautent à bord, me collent des bières dans la main et s’occupent de tout. J’essaie d’aider à la manoeuvre, peine perdue, ils gèrent très efficacement et je n’ai qu’à savourer pleinement l’ivresse (au sens figuré pour l’instant...) de l’exploit accompli. Arrivée sur le ponton, cent personnes qui crient, qui me sautent dessus, l’accueil de Daisy, la caïpirinha, l’orchestre de percu à fond ... après n’avoir parlé à personne pendant 21 jours ... je ne touche plus terre, et ça va durer un moment. Retrouver les copains, accueillir de la même façon ceux qui arrivent, c’est la fête en continu, on est tous des héros !


La Transat 650 édition 2003

 Parcours : La Rochelle - Lanzarote - Salvador de Bahia (Brésil)
 Podium prototypes (32 classés) : 1 151 Armel Tripon en 29 j 13’25’’ à 5.9 nds de moyenne ; 2 260 Richard Mérigeaux à 17h12’ ; 3 240 Alex Pella à 19h22’
 Podium Séries (27 classés) : 1 426 Erwan Tymen et 31 j 13:48 à 5.5 nds de moyenne ; 2 440 David Raison à 03h35 ; 3 428 David Sineau à 06h13
 Classement de Patrick : 13e sur FINIST’MER ECOLE NAVALE à 2 j 00’31’’
 Faits de course : Jonathan McKee puis Sam Manuard démâtent à l’approche du Brésil alors qu’ils ont l’un puis l’autre course gagnée. Armel Tripon gagne la 2e édition de la Transat 650 organisée par GPO. Michel Mirabel s’offre une figure de style à quelques longueurs de l’arrivée en s’échouant sur les cailloux. Dans cette catégorie des bateaux de série, c’est Erwan Tymen qui l’emporte. Le "pirate" Chris Sayer est aussi arrivé de l’autre côté à une virtuelle 4e place…



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