Vendée Globe • Imoca L’Occitane
Clarisse Crémer : "Je pourrais passer le cap Horn le 31 ou le 1er au matin"
vendredi 20 décembre 2024 –
Le Pacifique ne le serait-il que de nom ? Après une traversée de l’océan Indien en à peine plus de 10 jours, qui s’est finalement montré plutôt clément, Clarisse Crémer a fait son entrée dans le troisième océan de son tour du monde dans la nuit de dimanche à lundi, au moment de dépasser la latitude de la Tasmanie, au Sud-Est de l’Australie.
Un océan Pacifique Sud riche de promesses, alors qu’un front tonique porteur de vent frais était supposé permettre à la skipper de L’Occitane en Provence d’allonger la foulée et de revenir sur le groupe de tête. Le classique principe de l’élastique qui se tend et se détend, typique des mers du Sud, les écarts se faisant et se défaisant au gré des système météo. Mais c’était sans compter sur le pépin technique qui tombe au pire moment, le coup de malchance et l’effet domino qui en découle. Dans la nuit de lundi à mardi, Clarisse était victime d’une avarie de hook de grand voile, aux lourdes conséquences :
« J’étais en lisière du front et je me donnais à fond pour rester dedans et partir à toute vitesse avec. Franchement, c’était dur, il y avait 5 mètres de houle, 40 noeuds, la vie à bord ne ressemblait à rien et il fallait absolument que je tienne 19 à 20 noeuds de moyenne. C’tait chaud, mais j’y arrivais, et j’y croyais ! J’avais mon pass pour accrocher le groupe de poursuivants !… Et mon histoire de hook de GV est arrivé pile au moment où il y avait tout à perdre. Le temps d’essayer tous les ris 50 fois, de finalement affaler ma voile, de changer le hook, et c’étaient 3 heures où j’allais à 8 noeuds au lieu de 22 noeuds et voilà… j’avais loupé le front. »
Après avoir mangé son pain noir dans une dorsale, puis avoir bataillé dans une mer déchaînée, seul l’espoir d’attraper le bon train la faisant tenir, l’addition est salée pour Clarisse.
« J’ai un peu de mal à avaler la pilule, avoue-t-elle, parce qu’au cap Horn, Justine aura 4 jours d’avance sur moi. C’est un peu dur à accepter, en termes de performance et de compétition, c’est frustrant ! Quand tu sens que tu étais à deux doigts de tenir quelque chose et que ça n’a pas de rapport avec ton niveau, que c’est juste un mauvais timing… C’est la compétitrice au fond de moi qui est ultra frustrée ! »
Elle nous avait habitués à un mental exemplaire de stabilité, capable de tout relativiser et de tout surmonter dans l’adversité. Cette fois, Clarisse a craqué. Déçue, en colère et surtout épuisée, la skipper ne pouvait cacher sa rage, témoin de sa détermination à ne pas faire de simple figuration. Mais tout finit par passer, notamment une fois la tête reposée et les regrets ravalés. « J’arrive à relativiser assez vite, je ne laisse pas les déconvenues me pourrir la vie, j’arrive à profiter malgré tout » ajoutait-elle après quelques heures de sommeil, revigorée et de nouveau d’attaque, animée par son éternel duel avec Samantha Davies !
À deux, tout va mieux
Car il est indéniable que naviguer à plusieurs aide à aller de l’avant. Voilà près de 20 jours que L’Occitane en Provence et Initiatives-coeur ne se quittent plus, se livrant à un véritable pas de deux, à la recherche d’airs perdus. Forcées de faire du Nord en raison d’une vaste zone de haute pression bien installée sous la Nouvelle-Zélande, pour ne pas se laisser piéger dans du vent très faible, voire inexistant, les deux concurrentes échangent et relativisent, attendant (impatiemment) que la météo tourne en leur faveur :
« On discute un peu avec Sam ! On était juste à côté il y a quelques jours, au sud de la Tasmanie, et on a commencé à papoter parce qu’elle me voyait en visu ! On était à peine à un mille l’une de l’autre. C’est souvent dans les conditions un peu pourries que les concurrents échangent. On se disait : « Oh là là, je serre les fesses ! ». On était toutes les deux un peu dans le dur, mais elle était plus philosophe par rapport au front ! Elle avait un peu plus accepté qu’elle n’allait pas réussir à l’attraper. Ensuite on échange sur nos repas (oui, ce ne sont probablement pas les mêmes échanges qu’entre Seb Simon et Charlie Dalin !), on échange sur ce qui va à bord, sur ce qui ne va pas. »
Si la situation ne devrait pas s’améliorer dans l’immédiat, la faute à une météo très piégeuse, le moral est bon et la vie enfin presque un peu douce !
Entre le ballet de dizaines d’albatros et des couchers de soleils « couleurs pamplemousse », Clarisse retrouve sa sagesse et prend son mal en patience :
« Je n’avais pas non plus trop aimé la partie sous la Nouvelle-Zélande il y a 4 ans, se souvient Clarisse, parce que j’avais dû ralentir pour laisser passer une dépression. Ça tient ses promesses, c’est toujours un endroit où la météo est un peu différente du reste. Ce ne sont pas ces dépressions qui arrivent du sud et qui t’embarquent, il y a des trucs qui descendent du Nord et ça change pas mal la donne. J’ai à peu près le même souvenir à un endroit un peu piégeur, où il se passe pas mal de choses, et malheureusement pour moi ça s’est mal passé dans le mauvais sens. Quand je dis ça, tout est relatif : tout va bien et je suis encore en course ! »
Le cap Horn pour le Réveillon ?
Pour l’heure, les conditions se sont calmées et les vitesses avec, alors que l’IMOCA bleu et jaune poursuit sa route vers l’Est… au près ! Un scénario curieux en plein océan austral, mais qui ne devrait pas durer.
« J’ai trois nuit au près, et ensuite ça commencera à s’ouvrir doucement, et je pourrai recommencer à faire du reaching, prévoit Clarisse. Ça va repartir en mode comme ce qu’on connaît, mais je ne serai malheureusement jamais devant un front d’ici le cap Horn, donc ça veut dire une vitesse moyenne pas forcément très élevée, dans de la mer, avec beaucoup de vent et de nombreuses rafales. »
Pas de records de vitesse au programme donc, mais peut-être une casquette de double-cap-hornière pour la Saint-Sylvestre ?
« Je pourrais passer le cap Horn le 31 ou le 1er au matin, ce serait un beau cadeau de nouvelle année, ce serait cool, mais je ne me projette pas, je me projette jusqu’à demain est c’est déjà bien ! »
Demain, ce sera le retour du vent fort au près, et du mauvais côté, bâbord amure, alors que la navigatrice ne peut plus régler son foil tribord.
« Mais ça va !, se veut-elle de nouveau rassurante. Au près c’est toujours moins stressant, car tu n’as pas de voiles qui peuvent mal tomber ou mal se rouler. Il va probablement m’arriver d’autres soucis, mais globalement le près ce n’est pas hyper stressant, je me relâche un peu. »
Se relâcher en IMOCA n’étant certainement pas synonyme de véritable détente, Clarisse pourra néanmoins faire le plein d’énergie, en enchaînant de bonnes phases de repos, et en prenant soin de son bateau.
« Hier j’ai bricolé pendant 9 heures d’affilée et après j’ai bien mangé, j’ai bien dormi, raconte-t-elle. J’arrive enfin à vraiment avoir des phases différentes sur le bateau : des phases où je me repose, des phases où je bosse à fond, des phases un peu plus dures - comme quand j’étais dans le front - où je fais le dos rond car tu sais que ça ne dure qu’un temps. Globalement je me sens bien ! J’ai à peine eu le temps de regarder des films ou de lire. Hier je n’ai même pas écouté une minute de musique, j’étais vraiment à fond en train de bosser sur le bateau. Ce sont des journées chouettes parce que ça te permet d’avancer sur plein de choses. Et puis je suis contente de voir que Tanguy a pu faire ses réparations, parce que ça fait toujours un petit stress en plus… J’avoue qu’hier, quand j’avais un peu le moral dans les chaussettes d’avoir perdu le front et d’avoir encore une GV affalée, de voir que Tanguy a explosé une cloison et qu’il me dit qu’il lui faut 48 heures pour réparer… Ça fait un peu double peine ! »
À chaque jour suffit sa peine, et demain étant un autre jour, et Clarisse désormais à mi-parcours, la route est encore longue et les opportunités d’écrire son histoire, à sa façon, tout aussi nombreuses !