Imoca Biotherm • Vendée Globe
Paul Meilhat : "Certains attaquent beaucoup plus que d’autres… On verra si ça tient"
dimanche 1er décembre 2024 –
Samedi 30 novembre à 18h20, après une longue approche au ralenti dans un « trou de vent », Paul Meilhat a franchi la longitude du cap de Bonne Espérance, le premier des trois grands jalons du Vendée Globe. Quelques heures plus tard, Biotherm faisait son entrée officielle dans l’océan Indien *, le plus redouté de tous les espaces maritimes du parcours. Pour la troisième fois de sa carrière, le skipper du bateau bleu s’apprête à affronter le Grand Sud. Dans ce vaste désert liquide où rien n’arrête le manège des vagues et des dépressions, le tour du monde en solitaire prend toute sa dimension : engagé, dangereux, éreintant. En 9e position, Paul Meilhat est lancé dans une folle traque, à la poursuite de leaders très rapides.
Trouver la confiance, soigner les contusions
Après un départ en tête le 10 novembre devant les Sables d’Olonne, il a fallu un temps d’acclimatation d’une poignée de jours avant que Paul Meilhat ne se sente en confiance face aux réactions de son monocoque dotés de nouveaux foils. Un petit accident – il est projeté dans le cockpit lors d’un départ au lof et s’en sort avec de gros hématomes – vient aussi lui rappeler qu’il est important de préserver l’homme, pas seulement son bateau.
A courte distance des leaders
Ce qui ne l’empêche pas de se bagarrer devant ! Dans le top 12 pendant la progression en accordéon de la flotte en Atlantique Nord, il se maintient au contact des premiers grâce à son décalage dans l’ouest entre les Canaries et le cap Vert, avant de s’offrir une traversée relativement limpide du pot au noir. A la sortie de la zone intertropicale de convergence, il est 9e… une place qu’il sait devoir défendre. Passé l’équateur et les alizés de l’Atlantique Sud, une dépression en formation au large de Salvador de Bahia va faire office de toboggan géant vers le cap de Bonne Espérance. Seule la tête de flotte semble être en mesure de bénéficier de cette descente à haute vitesse vers les Quarantièmes. Alors Paul s’accroche.
« J’ai poussé dans mes retranchements pour attaquer, il y a eu des nuits sans dormir car j’étais sur le fil du rasoir et qu’il fallait aller vite. C’était dur mais je suis content parce que ça a payé »
raconte t-il au moment de doubler la pointe de l’Afrique du Sud dans un vent très irrégulier. Devant lui, les IMOCA de dernière génération – les plans conçus pour ce Vendée Globe- ont aligné des vitesses moyennes vertigineuses, faisant tomber une pluie de records.
« Certains attaquent beaucoup plus que d’autres… On verra si ça tient dans le Grand Sud ».
Attaquer ou préserver ?
Aux portes de l’Indien, c’est une nouvelle course qui commence : le véritable tour de l’antarctique par 40 à 50 degrés Sud, dans un environnement hostile. Gris, froid, humidité, forts coups de vent et mers croisées seront bientôt le lot quotidien des marins. Pour Paul qui y est déjà passé deux fois, « c’est le pire des océans ». Statistiquement, c’est en effet le plus destructeur, celui où l’on comptabilise le plus de casses et d’abandons dans l’histoire du Vendée Globe. Dès lors, chacun devra s’appliquer à résoudre au jour le jour le dilemme suivant : attaquer ou préserver ?
Quoi qu’il arrive : s’accrocher
Le skipper de Biotherm aborde ce nouveau chapitre avec tous ses atouts.
« J’arrive à bien m’alimenter. Pour le sommeil, c’est un peu plus irrégulier, mais je n’ai jamais été dans le rouge et j’arrive à bien me reposer. Sur le bateau, j’ai eu deux ou trois petites galères mais rien de bien méchant pour l’instant ».
La distance qui le sépare des premiers s’est néanmoins accentuée hier après-midi alors qu’il peinait à faible vitesse dans une zone de vent quasi absent : 600 milles avec le quatuor Richomme / Dalin / Simon / Ruyant, soit une journée et demi de navigation.
Paul espère qu’elle ne se transformera pas en système météo d’écart. Il résume, dans les grandes lignes, la situation à venir :
« Nous sommes dans la traîne (à l’arrière) de la dépression qui nous a emmenée jusqu’ici. Dans 36 heures, nous allons nous faire rattraper par une zone de vent plus faible (dorsale) puis une nouvelle dépression arrive derrière et celle-là, elle est dangereuse : les modèles la voient se creuser assez fortement dans quatre à cinq jours. C’est cette dépression qui va conditionner notre stratégie, quasiment jusqu’au sud de l’Australie. Rester au nord de cette dépression est un gage de sécurité, mais cela rallonge considérablement la route et impose de multiplier les manœuvres (empannages). Passer au Sud, c’est la route la plus courte, mais cela exige de naviguer plus près du vent, dans des rafales à 60 nœuds. Les premiers réussiront-ils à rester devant et à prendre un système météo d’avance ? Ce qui est sûr c’est que j’essaie de m’accrocher pour prendre de l’avance au maximum tant que les conditions sont faciles. Là, il faut avancer sans trop se poser de questions ! ».
Ce dimanche matin, le monocoque bleu avait retrouvé toutes ses couleurs et progressait à 20 nœuds, cap à l’Est-Sud-Est vers la zone d’exclusion antarctique, dans le sillage de ses prédécesseurs. La suite est plus incertaine.
« Je n’ai pas encore arrêté de choix stratégique. On essaie de se décider le plus tard possible pour se donner une chance de saisir les opportunités ».
En attendant, tandis que le microscope de la fondation Tara continue de scanner l’océan, Paul, qui passe le plus clair de son temps dans le cockpit de son bateau, profite du spectacle des albatros qui planent dans le vent, majestueux et indifférents au sort des navigateurs en course. Les températures sont encore douces et les vents cléments… mais cela ne va pas durer !
* C’est en réalité le cap des Aiguilles, (le promontoire le plus au Sud de l’Afrique du Sud) qui délimite l’entrée dans l’océan Indien.
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Dernière minute : les mots de Paul envoyés du bord ce dimanche matin :
« Ça y est on est dans l’Indien ! Malheureusement hier soir était plus tragique que festif ! Je suis tombé dans un trou sans vent pendant quasiment 6 heures : 100 milles de perdus, c’est dur à encaisser. C’est bien reparti en deuxième partie de nuit comme si rien ne s’était passé. Pendant ces 6 heures, j’ai contrôlé le bateau de l’avant à l’arrière. J’ai même affalé la grand voile : tout va bien. Les systèmes météo vont s’enchaîner et l’élastique entre les concurrents va se tendre et se détendre
Prochaine marque de parcours le cap Leeuwin au sud-ouest de l’Australie dans une grosse semaine ».