Vendée Globe
Le roman du tour du monde en solitaire présenté par Pierre-Yves Lautrou
"Tous les skippers adhèrent à l’idée d’un tour du monde en solitaire et sans escale mais c’est Jeantot qui dégaine le premier !"
mardi 14 septembre 2004 –
Pierre-Yves Lautrou et Christophe Agnus ont écrit l’année dernière "Skippers de l’impossible" [2]. Cet automne ils sortent une enquête rare dans le monde de la voile française. Ils se sont intéressés à la grande histoire du Vendée Globe. Un roman exceptionnel qui retrace le parcours de l’Everest de la Voile inventé et organisé par Philippe Jeantot et Philippe de Villiers. Rencontre avec Pierre-Yves Lautrou son co-auteur.
Vous commencez votre saga par l’arrivée du dernier Vendée Globe...
"Oui, on commence par raconter l’arrivée de Michel Desjoyeaux, retransmise en direct dans le journal de 20 heuressur TF1 et sur France 3. Le skipper de PRB arrive à 20h08’30" le 10 février 2001. On parle des négociations avec TF1 et France 3 ainsi que de l’importance du travail d’Eric Coquerel (chargé de la communication du skipper et du sponsor). Puis flash-back : on repart 32 ans en arrière, le 18 mars 1969 ! C’est le jour où Bernard Moitessier repart au large du Cap et lance un message à un cargo qui passe près de lui pour dire qu’il "continue sa route vers les îles du Pacifique pour sauver son âme". C’est le Golden Globe, la première course autour du monde en solitaire. A son arrivée, Moitessier écrit "La Longue Route" . Ce livre qui influence toute une liste de marins dont un petit jeune qui habite à Quimper, Philippe Jeantot."
Quel est le rôle exact de Philippe Jeantot ?
"Il est énorme. D’ailleurs, nous retraçons la genèse du futur patron du Vendée Globe. Quand il navigue à Ste Marine, puis qu’il entre à la Comex avec pour objectif de faire un tour du monde façon "La Longue Route" ou dans l’esprit de "Sur la route" de Jack Kérouac. On fait le portrait de Philippe Jeantot en présentant le premier BOC Challenge qu’il remporte. Comment il rencontre Philippe de Villiers en 1983 alors que celui-ci n’est pas encore en politique mais chef d’entreprise avec le "Puy du Fou" et "Radio Alouette". Une amitié profonde naît entre ces deux hommes extrêmement différents. Puis il y a le catamaran Crédit Agricole 2 et le départ du deuxième BOC Challenge sur Crédit Agricole 2."
Comment émerge l’idée d’une telle course ?
"Tous les skippers adhèrent à l’idée d’un tour du monde en solitaire et sans escale, avec des motivations différentes mais c’est Jeantot qui dégaine le premier ! En janvier 1988, à l’hôtel Intercontinental, rue de Castiglione à Paris (hôtel où se tient le 16 septembre 2004 la conférence de presse du Vendée Globe 2004-2005, mais sans Jeantot !), il annonce le lancement du Globe Challenge. Deux guest stars sont invitées puisque Bernard Moitessier et Robin Knox-Johnston sont présents. On est bien dans la filiation du Golden Globe de 1968 qu’a remporté le marin anglais. Mais en septembre 1989, il se dit sur les pontons du Grand Pavois qui se tient à La Rochelle que cette course ne partira jamais. C’est là qu’intervient le premier sauvetage de la course par Philippe de Villiers, devenu depuis un an le président du Conseil Général de Vendée. Villiers convoque les chefs d’entreprises du département. Seule la société Fleury Michon répond à l’appel. Il décide alors de mettre de l’argent de la poche de la Vendée et la course devient officiellement le Vendée Globe Challenge."
La première éditon du "Vendée Globe Challenge" est devenue mythique...
"Bien sûr, mais elle repose aussi sur une sorte de malentendu qui se crée entre le public, les médias et les gens qui vont y participer. La course est présentée comme l’Everest de la voile avec des concurrents super préparés alors que ce n’est pas le cas pour tous. Il y a aussi un autre malentendu car, quand ils partent, tout le monde se pose la question de savoir "quels sont ceux qui vont en revenir ?". Or pour les skippers, la question est plutôt "qui va y arriver sans faire la moindre escale ?". Les marins se demandent si le matériel et les bonshommes vont tenir sur une telle distance sans s’arrêter. À l’époque, seuls cinq hommes seulement l’ont fait. Et le Golden Globe, c’était 20 ans auparavant. En plus, dans les magazines de voile français, on ne parle à cette époque que des multicoques avec, en particulier, le suivi de leurs performances dans Voiles et Voiliers par Christian Février et ses "Multibulles". En fait, le Vendée Globe va vraiment sauver la classe des monocoques... On essaye aussi de montrer comment le Vendée Globe est une compétition unique dans le monde du sport où, du premier au dernier, tout le monde a gagné !"
Puis arrive le temps de lancer une deuxième édition ?
"C’est celle que nous appelons le "maudit millésime" ou comment la deuxième édition est une course maudite. Jeantot lui-même ne veut pas repartir. Mais Villiers le convainc d’en rester l’organisateur. Dès le départ, cette course se déroule sous le signe indien : un mort (Nigel Burgess) un disparu (Mike Plant), les favoris qui rebroussent chemin... Puis il y a la victoire d’Alain Gautier, l’interview du Lorientais en direct avec Patrick Poivre d’Arvor par un faussaire qui se fait passer pour le skipper. Il y a aussi Poupon qui démâte, Van Den Heede qui le double avec un bateau qui prend l’eau et encore, le moment le plus célèbre de la course, quand Bertrand de Broc se coud la langue tout seul..."
Le Vendée Globe 1996-1997 a forcément droit à un traitement particulier ?
"Oui. On l’explore en trois chapitres. D’abord on raconte les "malaises" qui existent avant le départ de la course. Jeantot veut revendre la course au Conseil Général. Villiers le convainc encore à rester à sa tête. Jeantot impose un deal : il vient tous les quatre ans pour l’organisation de la course et le reste du temps, il vit autour du monde en famille sur son catamaran de croisière. Il rencontre à ce moment-là une nouvelle génération de skippers avec Isabelle Autissier ou Christophe Auguin... Puis on retrace les terribles tempêtes et les différents sauvetages de Raphaël Dinelli, Thierry Dubois et Tony Bullimore. On consacre enfin un chapitre entier à Gerry Roufs : il n’aurait pas dû partir. On a rencontré Michèle Cartier, la veuve du skipper Canadien du bateau Groupe LG, qui nous a ouvert ses archives."
Quelles sont les conséquences de cette édition tragique ?
"Il y a une remise en cause architecturale des pelles à feu signées Finot-Conq. Nous la racontons à travers la saga des Open 60 et des plans Finot-Conq en particulier. En 1983, Pascal Conq gagne le Tour de France à la voile sur le bateau Côtes d’Armor avecThierry Fagnent. Ce dernier lui demande, quand il entre chez Finot en 1985, de lui dessiner un mini 650 pour la transat de 1987. Mais Thierry n’a pas le temps de finir le bateau et le vend à Philippe Vicariot. Le Brestois gagne la Mini-Transat 1989 sur Thom Pouss, un mois avant le départ du premier Vendée Globe ! Ensuite, il y a le premier Generali - Concorde pour Alain Gautier. Gautier voulait participer au tour du monde sur un Lévrier des Mers de 16 mètres en aluminium. Jean-Marie Finot associé à Pascal Conq lui conçoit un voilier extrême qui entre dans son budget de trois millions de Francs (450 000 €). Le bateau est aussi en aluminium mais bien plus radical avec un maître bau reculé, une grande largeur, etc. Lors du salon nautique de 1989, Christophe Auguin commande un autre plan Finot-Conq qui bénéficie des enseignements tirés de Generali - Concorde. La coque est en plastique cette fois-ci. Il possède des doubles safrans et gagne le BOC Challenge 1990-91 puis participe aux Vendée Globe suivants avec Yves Parlier et Marc Thiercelin. Suivent Bagages Supérior pour Alain Gautier, Geodis pour Christophe Auguin et les bateaux d’Isabelle Autissier, Yves Parlier et Gerry Roufs. Mais le 15 février 1999, Autissier chavire au cours du BOC Challenge par 20 noeuds de vent. Le bateau ne se redresse pas ! Depuis, il n’y a plus eu aucune commande pour le cabinet d’architectes. Un seul skipper y va quand même. C’est Michel Desjoyeaux. Il voulait se faire construire un plan Farr mais l’architecte néo-zélandais ne peut pas tenir les délais pour qu’il prenne le départ de la Transat Anglaise qualificative. Il remporte pourtant le dernier Vendée Globe avec un bateau construit dans un moule de coque signé Finot-Conq... et un pont signé Lombard !"
Vous évoquez aussi un "Pays de Cocagne"...
"... la Vendée ! On revient sur l’implication de la Vendée, de ses entreprises et hommes politiques dans le Vendée Globe. Depuis le début de l’histoire interviennent le Crédit Agricole de Vendée et Fleury Michon. Puis c’est au tour de PRB qui arrive dès la deuxième édition. Avec leurs amis de Sodébo, ils forment alors un petit club qui embarque VMI, VM Matériaux... PRB assure d’ailleurs que les retombées de la victoire de Michel Desjoyeaux lors de la dernière édition s’évaluent à 100 millions de Francs (15 millions d’Euros). Ils estiment aussi que 15 pour-cent de leur taux de croissance annuelle est lié au Vendée Globe ! Enfin, le Vendée Globe ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans l’implication de Philippe de Villiers, présent depuis le début de l’histoire, dont les relations avec Sodebo sont excellentes..."
Comment se présente la dernière édition du Vendée Globe ?
"C’est un "Un autre monde" pour reprendre le titre du chapitre qui lui est consacré : la course change dans son esprit et dans sa forme, elle devient une régate de bout en bout. Débarquent les Figaristes issus du centre d’entraînement de Port La Forêt et, avec eux, un nouvel état d’esprit. Le Vendée Globe évolue et devient une étape dans la carrière de ces marins comme Michel Desjoyeaux l’a montré en remportant ensuite la Route du Rhum et la Transat Anglaise. Avant, c’était le projet d’une vie de marin après laquelle on se retirait de la course au large professionnelle..."
Vous êtes-vous intéressés aux péripéties judiciaires de la course ?
"Forcément... Pour la première fois, nous racontons le cheminement infernal qui envoie Philippe Jeantot aux portes de la prison. On évoque aussi des amitiés politiques de tous bords de Philippe Jeantot avec Villiers d’une part et avec Jean-Paul Huchon d’autre part qui était le directeur général du Crédit Agricole de fin 1984 à 1986. C’est aussi en 1986 que ses ennuis commencent avec un premier redressement fiscal. Mais il passera au travers à chaque fois, jusqu’à la chute finale..."
100 interviews, 6 mois d’enquête. Pour rédiger cette enquête, Pierre-Yves Lautrou et Christophe Agnus ont rencontré ou discuté avec pas moins de 100 personnes. Et bien sûr, les plus difficiles à rencontrer furent... Philippe Jeantot et Philippe de Villiers ! C’est seulement le 10 juin que les deux journalistes pourront interviewer l’inventeur du Vendée Globe. Jeantot les appelle lui-même alors qu’il sort de sa seconde garde à vue. De Villiers de son côté les repousse pendant trois mois. Mais les deux hommes sont tenaces et ne lâchent pas prise. Ils vont plusieurs fois en Vendée pour obtenir un rendez-vous. C’est finalement à la brasserie de l’école militaire à Paris que l’entretien à lieu, le 6 juillet 2004. Enfin. Le livre est donc complet avec les points de vue de ces deux principaux protagonistes du Roman du Vendée Globe. Six mois d’enquête et trois mois d’écriture en tandem pour une sortie chez Grasset le 12 octobre 2004.
Deux journalistes express. Pierre-Yves Lautrou, 33 ans, est journaliste à l’Express. Co-propriétaire d’un Open 750 et propriétaire d’un Pogo 2, il a aussi participé à la Transat 650 en 2001 sur un Pogo première génération. Opéré du genoux cette année, il en a profité pour se lancer dans cette grande enquête avec son co-auteur de "Skippers de l’Impossible", un livre grand public publié avant le salon nautique 2003. Christophe Agnus, 41 ans, est un ancien journaliste à l’Express et à Voiles et Voiliers. Il est aussi l’ancien directeur de publication du magazine Transfert et du site internet associé.