Succession à la barre de Foncia
Alain Gautier : "Nous venons de choisir celui qui nous semble capable de barrer le trimaran pendant plusieurs années"
"je ne désespère pas d’être un jour au départ des 24 h du Mans"
mercredi 29 septembre 2004 –
Alain Gautier a décidé d’arrêter sa carrière de skipper de course au large à l’âge de 42 ans. Il explique pourquoi il laisse la barre de son trimaran blanc à celui qui l’a battu de 13 secondes lors de la Solitaire Afflelou Le Figaro 2003. Le Lorientais reste par contre chef de projet pour épauler Armel Le Cléac’h tout en pensant à l’avenir et peut-être même au 24 heures du Mans automobile...
On a toujours dit que la voile était un sport que l’on pouvait faire à haut niveau pendant longtemps. Vous n’avez que 42 ans, pourquoi arrêtez-vous si tôt ?
Comme dans tous les sports, le moteur principal est la motivation. Il ne faut pas attendre qu’elle s’essouffle pour s’arrêter. Même si le choix peut paraître difficile, il est logique. C’est pour cette raison que j’avais inclus une clause à la signature du contrat avec FONCIA, clause me permettant de ne plus être le skipper du trimaran FONCIA avant le terme de ce contrat signé pour huit ans (2000 à 2007). Je ne veux pas prendre le départ d’une transat par obligation « matérielle ». J’ai envie de rester amoureux de la mer comme je l’ai été durant ces 25 saisons de courses en solitaire.
N’y a t il pas autre chose ?
Vous savez, la vie représente un ensemble d’éléments, d’événements sur mer comme à terre. Aujourd’hui, j’aspire à passer du temps avec ceux que j’aime. Quand je vois la vitesse à laquelle grandissent mes enfants, je me dis que je n’ai pas envie de louper leur évolution.
Votre superbe résultat dans la Solitaire du Figaro Afflelou 2003 ne vous a-t-il pas donné ce coup de boost qu’il faut après quelques grosses déceptions ?
Cette décision d’arrêter m’a traversé l’esprit après le chavirage lors du Challenge Mondial Assistance 2003. Mais je ne suis pas homme à prendre de telles décisions à chaud et j’ai insisté auprès de FONCIA pour participer à la Solitaire. Les sensations que j’en ai retirées étaient si intenses qu’elles m’ont donné raison d’avoir pris cette décision. Petits bateaux monotypes, petits problèmes pour des sensations superbes. J’aime cette course et je la referai sûrement car, quand je dis stop à la course au large, je ne mets pas la Solitaire dans le même panier. Ce n’est pas une vraie course au large, en tous les cas pas à mes yeux. Alors le résultat 2003 m’a bien rassuré. La joie et la satisfaction d’une victoire d’étapes sont uniques, l’énorme déception de l’arrivée a vite disparu car je savais que la seconde place n’allait pas perturber ma carrière.
Les multicoques ORMA sont-ils trop usants en solitaire ?
Paradoxalement, ce sont les courses en équipage que je trouve moins exaltantes. Pour l’avenir, je ne me voyais pas participer à ces épreuves avec la même motivation qui m’a animé jusqu’à présent. Je suis un solitaire, j’aime énormément ces courses, dernièrement j’ai pris beaucoup de plaisir, malgré le froid et la difficulté lors de The transat.
Je peux même vous dire qu’au cours de ma réflexion, j’ai eu des discussions avec un grand skipper qui avait le problème un peu inverse au mien. Nous avons évoqué une association. Il ferait les courses en équipage, nous ferions la Transat Jacques Vabre ensemble et je courrais les transats en solo. Mais le gros projet sur lequel il travaillait ne lui aurait pas laissé assez de temps.
Vous voulez dire que l’on aurait pu voir le trimaran FONCIA co-skippé par Loïck Peyron et Alain Gautier ?
Oui.
« Si le projet de Loïck Peyron n’était pas encore stoppé », cela veut dire que votre décision n’est pas récente ?
J’ai informé les dirigeants de FONCIA début décembre 2003, au retour de la dernière Transat Jacques Vabre. J’ai d’ailleurs commencé les discussions avec d’éventuels remplaçants dès cette période.
Le manque de résultats avec le nouveau FONCIA n’a-t il pas pesé dans votre décision ? Vous êtes un battant, vous bagarrer pour la sixième place ne doit pas vous amuser plus que ça ?
C’est vrai que les résultats obtenus avec FONCIA 2 ne sont pas à la hauteur de nos espérances. Je ne peux pas tout expliquer. Cela dit, deux causes majeures en tout cas se sont additionnées et expliquent ce bilan mitigé : un manque de réussite -c’est une donnée à ne jamais négliger dans la compétition- et un bateau qui n’a pu exprimer toutes ses potentialités, pénalisé par le surpoids lié aux modifications post-Route du Rhum 2002.
A la conception puis à la construction, plusieurs options techniques, certaines il est vrai audacieuses, se sont révélées discutables. Mises bout à bout, elles ont contraint la performance. La supervision de l’ensemble du chantier m’incombait et je suis responsable, au bout du compte, autant des choix heureux que des options moins fructueuses. J’ai évidemment été déçu de n’être pas parvenu immédiatement à une conception optimale du bateau. Il faut bien reconnaître aujourd’hui que les trimarans de soixante pieds sont arrivés à un tel degré de sophistication technologique que certains choix sont de l’ordre de l’expérimentation, et qu’il est quasiment impossible de trouver d’emblée les meilleures voies d’évolution. Face à cette réalité, la confiance d’un sponsor prend tout son prix et FONCIA m’a permis d’améliorer, entre la fin de cette saison et le début de la prochaine, le FONCIA 2. Enfin, il faut bien reconnaître qu’être tout à la fois propriétaire du bateau, manager de l’équipe et skipper peut à certains moments rendre la tâche particulièrement lourde.
Lorsque l’on regarde votre palmarès, (3 tours du monde dont 1 victoire dans le Vendée Globe 1993, 20 traversées de l’Atlantique dont 5 en solitaire, 15 participations à la Solitaire du Figaro dont 9 victoires d’étape et 1 victoire au classement général en 1989, 1 participation sur la Transat AG2R, qui se solde par 1 victoire, et j’en oublie), vous n’êtes certes pas à plaindre ; mais n’avez-vous pas quelques frustrations par rapport à certaines victoires manquées : la Route du Rhum 98 ou le Championnat ORMA 2001 ?
A une période, un sponsor m’avait demandé quel trophée il pourrait mettre sur pied pour récompenser le meilleur marin de l’époque. Après réflexion, je lui avais parlé d’un grand chelem possible pour récompenser le meilleur navigateur solitaire.
Le premier à accumuler une victoire dans une Solitaire du Figaro, un tour du monde en solo, une transat en trimaran toujours en solo. Je trouvais que celui qui réussirait ce chelem pouvait en être fier car ces trois victoires dans des courses différentes reflétaient un gros talent et un sens marin hors du commun. Alors je me suis mis à rêver. J’avais déjà la Solitaire du Figaro et le tour du monde, il ne me manquait plus qu’une transat en solo. Hélas, une baleine a cassé ce rêve la veille de l’arrivée lors de la Route du Rhum 1998, la victoire n’était pas loin. En 2000, je loupe les deux derniers jours de la transat anglaise. En 2002, je pense avoir fait le plus difficile après la tempête mais le carénage du bras m’oblige à l’arrêt alors que j’ai
100 milles d’avance sur Mich Desj. Cette année, j’avais les moyens de me battre avec Thomas et Mich ; mais à ce niveau, partir trois heures derrière les autres était rédhibitoire pour envisager la victoire. Alors, oui je suis déçu de ne pas avoir remporté une transat en solo. Mich Desj a réussi à faire ce que ni Philippe Poupon ni moi n’avions réussi ; et ce de manière magistrale puisqu’il a gagné le Vendée Globe et la Route du Rhum dès sa première participation. L’égaler sera difficile mais je pense que Armel Le Cléac’h fait partie d’un petit nombre de skippers capables d’y arriver.
Quant au Championnat Orma, une victoire dans le Rhum 98 nous aurait permis de gagner le championnat. En 2001, on aurait pu faire une saison quasi parfaite, un petit manque de réussite nous a privé d’une victoire au Grand Prix de Belgique. Lors de la Transat Jacques Vabre avec Ellen, on finit à égalité de points avec Franck Cammas ; sa victoire dans cette transat en double lui donne l’avantage ! Ce sont des déceptions mais toutes ces navigations depuis 1980 m’ont tellement apporté que je n’ai pas à me plaindre.
Vous nous parlez d’Armel Le Cléac’h comme capable d’égaler un Mich. Desj, est-ce lui qui va désormais être aux commandes de FONCIA ?
A partir de 2005, oui.
Est-ce votre choix ou celui de FONCIA ?
Pendant ces 25 années de compétition (ou lala, ça fait un peu ancien combattant mais c’est malgré tout la réalité), j’ai eu 4 grands sponsors, avec lesquels d’ailleurs j’entretiens encore d’excellentes relations mais je dois dire que la qualité de la relation avec les dirigeants de FONCIA est vraiment remarquable. C’est vraiment un plaisir de travailler ensemble grâce à un mélange de respect et de confiance réciproque, en particulier comment ne pas apprécier de disposer d’un contrat de huit années, qui vous donne de la visibilité et vous permet d’organiser votre parcours sportif et personnel ? Je mesure que FONCIA m’a donné là une délégation exceptionnelle dans l’univers nautique et d’ailleurs dans le sport en général.
J’ai vraiment été heureux de partager avec eux les cinq années déjà écoulées, et je n’ai reçu aucune pression négative de leur part pendant les moments difficiles que l’on a traversé. Pour le choix de mon remplaçant, cela s’est passé de la même manière que pour d’autres décisions, je propose différentes solutions, on en parle, on réfléchit et FONCIA prend la décision finale.
Combien de noms aviez-vous proposés ?
Trois.
Pourquoi Armel ? Vous devez lui en vouloir de vous avoir coiffé sur le fil lors de la Solitaire 2003 ?
Eh bien pas du tout, au contraire même ! C’est moi qui n’ai pas su tenir mon rang dans les douze dernières heures, et j’ai commis trop de petites erreurs dans ce laps de temps pendant qu’Armel faisait exactement ce qu’il fallait pour espérer gagner.
Je le connaissais très peu au départ de cette course mais c’est celui qui m’a le plus impressionné dans la meute des « figariste-qui-en-veulent ». Son comportement après l’arrivée a été exemplaire. Je sais que l’on ne gagne pas une Solitaire du Figaro par hasard ni même que l’on finit deuxième à sa première participation. C’est aussi pour des qualités humaines et des valeurs importantes aux yeux des dirigeants de FONCIA qu’Armel a été choisi.
Il est jeune et sans grande expérience du multicoque.
Comme l’ont montré Laurent Bourgnon, Franck Cammas ou encore Ellen MacArthur, la jeunesse n’est pas un handicap si elle est mêlée à de la détermination, du talent et de l’intelligence. Quant à l’expérience, elle s’acquiert vite quand on rassemble les qualités que je viens d’énumérer. Avant de prendre la barre de FONCIA début avril 2005, Armel aura déjà parcouru près de 10 000 milles à bord. Et avec le bateau que nous allons lui concocter cet hiver, il sera dans les favoris de la prochaine Transat Jacques Vabre. D’ailleurs, je précise qu’il ne s’est pas agi pour FONCIA et pour moi de trouver un skipper pour boucler le contrat que nous avions conclu ensemble. Nous venons de choisir celui qui nous semble capable de barrer le trimaran pendant plusieurs années, pour peu que l’alchimie prenne bien entre Armel, FONCIA et moi.
Si j’ai bien compris, vous serez le manager du projet et vous lui mettez la pression d’entrée de jeu !
Je serai effectivement le chef du projet. Quant à la pression, le surnom d’Armel, ‘le chacal’, n’est pas usurpé et je suis bien placé pour savoir que la pression ne le gêne pas beaucoup.
Je n’ai pas l’impression que le FONCIA 2 soit le bateau le plus rapide du plateau. Sera-t’ il métamorphosé pour 2005 ?
Métamorphosé est un bien grand mot ; la conception générale du bateau était saine et nous n’avons pas à remettre en question les fondamentaux. Nous nous attacherons simplement à des ajustements techniques afin de gommer les défauts constatés. Je n’ai aucun doute sur l’issue de ces améliorations, et je compte bien livrer à mon successeur à la barre du FONCIA 2, Armel Le Cléac’h, un matériel compétitif.
Quand on pense vous connaître un peu, on a du mal à concevoir que le rôle de manager suffise à assouvir vos passions. N’auriez-vous pas d’autres projets ?
Je suis déjà heureux de pouvoir continuer à gagner ma vie en faisant des choses qui me passionnent. Je suis aussi heureux d’avoir fait ce choix de ne jamais être salarié d’un sponsor.
Même si ce choix était plus dangereux, je m’estime plus libre et j’ai un outil de travail, contrairement à d’autres sportifs qui stoppent du jour au lendemain et qui se retrouvent sans réel objectif. Mais c’est vrai aussi que j’ai d’autres rêves à réaliser.
Peut-on savoir lesquels ?
Ils ne sont pas liés au milieu de la voile.
Toujours dans le sport ?
Certains oui. Quand j’étais petit, (bon c’est vrai que je ne suis toujours pas grand), j’avais deux passions : les bateaux et les petites voitures de courses. Habitant au bord de l’Océan Atlantique, il m’a été plus facile d’assouvir la première passion mais je ne désespère pas d’être un jour au départ des 24 h du Mans. Je suis conscient du travail qui m’attend mais, avec du temps, je devrais être prêt aux alentours de 2008 !
Info Gaëlle du Penhoat
Voir en ligne : http://www.gautier-foncia.com